Il fait un jour à fuir vers l’enfance

Il fait un jour à fuir vers l’enfance.
« L'enfance contient les ruines du futur », disait Pirotte qui très vite arrêta de fréquenter sa mère qui ne comprendrait rien à ses rêveries poétiques. Mais l’enfance, il la garda en grande sœur de route.
Comme lui, fuyons la mère et gardons l’enfance. Arrosés de pluie et de vin, tapons des pieds dans les flaques. Égarons nos crottes de nez sous les tables. Giflons l’adulte puis embrassons-nous sur la bouche pour la première fois au fond d’un bois. 
Il fait un jour à fuir vers l’enfance.
  • 31.7.19

Qui l'eût grue

Sur le toit du bureau
à fumer ma cigarette
et le soleil au plus haut.

En face, deux grandes grues
balafrent le bleu peroxydé,
elles tremblent légèrement.

À moins que ce soit moi,
mon regard qui tremble
quand j’aperçois cet oiseau perché.

Moineau ou hirondelle,
trop loin je ne sais dire,
peut-être est-ce une petite grue.

Grue sur grue, ce serait incongru.

13h44 #AuBureau
  • 30.7.19

Il fait un jour à oublier ses clefs quelque part

Il fait un jour à oublier ses clefs quelque part.
Ou plutôt un jour à faire semblant d’oublier ses clefs quelque part et se retrouver seul dans la ville. Un dimanche où les rues sont sans lumière aux vitrines, où les stores sont baissés, sans consommation possible autre qu’un verre à une terrasse de café. Un jour à oublier d’avoir fait semblant d’oublier. Un jour à se faire croire que tout peut recommencer ailleurs, sans rien à devoir rouvrir. Un dimanche où il serait doux d’à nouveau te rencontrer.
Il fait un jour à oublier ses clefs quelque part.
  • 28.7.19

De l’autre côté d’un décor de cinéma

Tu sais, parfois, j’ai envie d’aller me perdre de l’autre côté d’un décor de cinéma.
Ça me prend les jours de pure perte, quand je ne sais plus pourquoi je me suis levé ni si ça vaut vraiment le coup de se coucher. Ces jours-là, il y a toujours un soleil plus blafard que les autres jours, un vent qui fait semblant de souffler et des heures qui semblent tourner à l’intérieur d’une montre molle. Là, je croise un clochard assis sur un trottoir ou quelqu’un qui s’y rapproche et derrière lui, je le vois, ce décor de cinéma dans lequel je voudrais rentrer.
Ça peut être un vieux mur effrité ou une vitrine clinquante de supérette ou encore je ne sais quelle clôture qui encercle un parc où il fait bon se promener mais aussi – et je dis ça parce que c’est cela qui revient le plus souvent – le mur de ma chambre derrière lequel je pense toujours à toi.
  • 26.7.19

Il fait un jour à chasser le Dahu

Il fait un jour à chasser le Dahu. 
Prenons nos rêves pour des bêtes sauvages. L’imaginaire comme seul poids sur nos ailes. À flanc de montagne, allongeons les chimères. Moquons-nous de la peur qui se dresse. Chatouillons nos angoisses pour rejoindre l’animal dans ton regard, celui que l'on n’a jamais pu capturer. 
Il fait un jour à chasser le Dahu.
  • 25.7.19

Quand je suis entré dans ce bar

Quand je suis entré dans ce bar, j'ai bien senti venir le traquenard. Ils étaient deux, accoudés au zinc en train d'écluser un gorgeon. A leurs yeux bordés de rouge vif et de larmes sèches, j'ai bien vu qu'ils n'en étaient pas à leur première tournée.

Un étranger qui entre dans un troquet d'habitués, c'est un chien dans un jeu de quilles. Soit il se fait accepter d'entrée de jeu et c'est le strike, soit il se la joue limonade au citron et il peut s'assurer une soirée à jouer la cible au jeu des fléchettes.

Par chance, la limonade me donne des ballonnements alors que le whisky me calme les convulsions intérieures.
Je fus accepté dès le premier verre comme un des leurs, même si eux tournaient au petit jaune sans glaçon. D'entrée, la parole fut libérée et les agapes liquides pouvaient débuter. 
Au fil des heures, mes yeux commencèrent eux aussi à pleurer des larmes sèches, de celles qu'on coule que pour nous et qu'on garde sous les paupières au cas où on aurait besoin de pleurer plus tard. Parce que pleurer pour les deux gaillards, c'était pas mentionné sur l'ardoise.

En revanche, après le dixième verre ou peut-être s'agissait-il du douzième, le flot de leurs paroles perdit le sens de la retenue en même temps que la prononciation des voyelles — un peu comme quand votre correspondant au téléphone passe sous un tunnel. La conversation vira de bord, des sentiments profonds surgirent du fond des verres comme s’il s’agissait de la partie immergée d'un iceberg.
L'un d'eux évita le naufrage en demandant la note au patron. L'autre, noyé dans ses consonnes, ne fit aucun cas de la demande de son camarade ni de mon état, accroché à mon tabouret comme à la poupe d'un bateau en pleine tempête. Et d'un coup sec, il tapa sur le comptoir : « Bon maintenant, hips, allons au bois dégager les écoutilles ! ».

24/07/16
  • 24.7.19

Il fait un jour à sauter dans un nuage

Il fait un jour à sauter dans un nuage.
Agrippé au bleu du ciel, corps à la recherche de l’oasis blanche. Se laisser dériver par l’humeur du vent. Trouver le bon, gros et moelleux avec un goût de vanille un peu épicée. Y plonger tête la première. Goûter, dormir, goûter à nouveau etc. Et ne plus redescendre que pour raconter l’histoire à ses petits-enfants.
Il fait un jour à sauter dans un nuage.
  • 23.7.19

Que me dit cette vague

Que me dit cette vague
qui s’échoue à mes pieds
comme une bouche de chien ?
Que veut-elle exprimer
qui n’a jamais été dit ?
Qu’est-ce qui la rend si singulière
pour que je m’y attarde ?
Violence ou beauté ? Les deux ?
Ou bien est-ce simplement
parce qu’elle est la dernière.
  • 21.7.19

Il fait un jour à s’assoir sur un banc

Il fait un jour à s’assoir sur un banc. 
Un banc au milieu d’un parc avec ses pigeons qui se disputent quelques quignons de pain. Un banc à lire. Un banc à regarder l’ordinaire se dérouler, nous rouler dessus. Ignorer pour un temps les batailles et ne pas penser à la métaphore qu’affichent les pigeons affairés à se prendre le bec, comme nous le faisons trop souvent. Un banc à chercher des éclaircies à qui parler. 
Il fait un jour à s’assoir sur un banc.
  • 19.7.19

On n'a pas tout compris #3

Ces phrases dont le sens échappe au commun des mortels mais qui parfois ne manquent pas de poésie :
- Faut-il s’inquiéter quand il y a inscrit « néant » sur la feuille ?
- Il refuse l’EAS. Fais-le partir en W.
- On va compter les points à l’arrivée.
- C’est pas moi ! C’est un préop !
- Fais-moi un RHR fictif.
- Il n’y a pas d’incident d’origine.
- On en parle parce que sinon on va se retrouver avec des oignons à Narbonne.
- Toulouse me demande si tu as des chambres ?
- Ce serait bien que les GOF se parlent entre eux.
- Ce n’est pas ma faute si j’ai une marche mal montée.
- On devait pourtant rentrer une patte sur deux.
- Zut ! J’ai du hors-quai en queue !
- J’entame ma treizième FÉM de la journée.
- Et 18 personnes en rupture pour Marseille !
- On va reconstituer les JS.

14h07 #AuBureau
  • 18.7.19

On a rouvert les fenêtres

On a rouvert les fenêtres
pour que l’air balaie nos visages.

De la rue on entend des voix
sous le murmure du tramway.

Une mouette égarée s’offre
une pause sur le toit d’en face.

Un enfant éclate de rire
et un ballon de baudruche.

Il ferait presque doux.

15h58 #AuBureau
  • 17.7.19

Il fait un jour à soutenir les ombres

Il fait un jour à soutenir les ombres. 
Nous devrions courir après les arbres. Les sauver des cueilleurs et des bûcherons. Préserver les longues branches que le vent balance. Nous devrions nous liguer contre les climatiseurs. Courir nus dans les prés jusqu’à ce que la soif nous étreigne. S’allonger et dans l’ombre d’un saule pleureur attraper ton sourire. 
Il fait un jour à soutenir les ombres.
  • 16.7.19

Le parasol

Le vent secoue le parasol.
De la cour remontent des odeurs
de viande et de poisson grillés,
de crème solaire au lait épais.
Le vent retourne le parasol.
Baleines à l’air, son squelette s’ébroue.
De la mer remontent le rire des enfants,
le claquement des bouées sur l’eau,
le rebond des ballons,
le bruit des raquettes
et la chaleur qui crie sous les casquettes.
Tout un lot de souvenirs de tous les étés
comme un parasol tombé dans ma tête.
  • 14.7.19

On n'a pas tout compris #2

Ces phrases dont le sens échappe au commun des mortels mais qui parfois ne manquent pas de poésie :
- Je monte le sillon et je te rappelle.
- On le fait W dans la marche.
- Ah ça y est ! Ils donnent les dépêches.
- Est-ce que vous connaissez la longueur d’un 3 caisses - 4 caisses ?
- Toulouse ne peut pas couvrir de Narbonne à Carca.
- Il y a un trou dans la raquette.
- Tu le commandes en rade à Nîmes.
- On va produire des difficultés de production.
- Cet accélérateur digital permettra de gagner du temps.
- Attention, les évolutions ne sont pas couvertes.
- Pour le 712, tu fais toujours ta coupe ?
- Non, j’ai pas de réserve.
- C’est du BGC, chérie !
- On va transborder au 506.
- Tu fais la rotation ou tu restes sur place ?

15h29 #AuBureau
  • 12.7.19

Repriser

Malgré la fatigue des gestes,
les renoncements mal assumés,
le désarroi qui parfois affleure,
ne pas toucher le bleu du fond.

Faire avec les fissures de l’âme
comme si on reprisait nos frusques,
chercher l’aiguille dans la botte,
ne pas avoir peur d’espérer.

14h27 #AuBureau
  • 11.7.19

La rue se gondole

On dirait bien que le rue se gondole au soleil. On voit au loin son chemin se vriller sur lui-même comme une vis sans fin. C’est l’effet du soleil, un mirage dans nos yeux. Sûrement mais pourtant, la rue souffre aussi bien, aussi mal que nous. De la chaleur et de bien autres affections.
La terre qui la porte garde la mémoire des températures, du temps qu’il fait comme du temps qui va. Sous ses pierres, une immensité de pensées fiévreuses accumulées en autant de strates qu’elle a de douleurs. On dirait bien que la rue se gondole sous l’effet de la somme de tout ce qu’elle a perdu – du très chaud jusqu’au très froid, du très dur jusqu’au très doux – et qui restera irremplaçable.
  • 10.7.19

Personne ne voit

Personne ne voit
ces légers tremblements
sous nos paupières
entre deux francs cillements,
entre deux respirations.

Personne ne voit
ce fourmillement du rêve
quand le cœur ne suit plus
son mouvement quotidien,
quand il sort de nos corps.

14h22 #AuBureau
  • 9.7.19

Il fait un jour à s’énerver comme un chat maigre

Il fait un jour à s’énerver comme un chat maigre.
Tout est à ras de peau. La fleur, longtemps qu’elle est fanée. Les nerfs se pelotent entre les oreilles à chaque mot qui y entre. Il suffit de dire Bonjour pour que la paranoïa s’installe : pourquoi Bonjour ? Et pourquoi il serait pas bon mon jour ? Tu crois peut-être que le tien sera meilleur que le mien ! Tu veux m’encourager ou juste me signifier que ton jour est le plus beau ?
D’accord, calme-toi et embrasse un arbre.
Il fait un jour à s’énerver comme un chat maigre.
  • 8.7.19

Avant le sommeil

L’été bâille sous un ciel de lait.
J’entends râler les caravanes
et à l’intérieur des voitures,
la fatigue trimballe des corps
aussi blancs que le ciel.
Au fond du bruit, des remuements
que la saison affectionne :
quelques insectes sans eau,
des brindilles crissent,
un chien hirsute jappe mollement
et cette vague plus véloce
que les autres
les observe chuchoter.
Il n’en faut pas plus
pour que le sommeil m’écrase.
  • 7.7.19

On n'a pas tout compris #1

Ces phrases dont le sens échappe au commun des mortels mais qui parfois ne manquent pas de poésie :
- J’attends que la journée remonte et te rappelle.
- Je fais La roue tourne et je m’en vais.
- À la voie 4, tu ne peux ranger que deux fois deux engins ?
- Je te fais le Must mais tu me le devras.
- Il faut vigiler l’Aubrac.
- On va attendre la PS comme l’espoir.
- Attention, ça génère de la PHQ !
- On coupe à Narbonne.
- On force à Nîmes.
- Tu penses pas qu’il vaut mieux le laisser ouvert le 250 demain ?
- Vérifie tous les A4 pour les Grau-du-Roi.
- Première porte de queue, côté mer.
- À partir de Béziers, ils sont deux dessus.
- La patte cassée : on fait le 206 dessus.
- On fait Avignon en US.
- On fait des intermédiaires ou pas ?
- En opérationnel, on renforce pas ça.

16h03 #AuBureau
  • 5.7.19

Histoire de bureau

On raconte des histoires de bureau,
quelques blagues dont on prend
plaisir à resucer le souvenir,
juste des sourires pour s’offrir
une pause dans la journée.

Tout le monde connaît la chute,
certains même la révèle avant la fin.
Ça rajoute un sourire aux sourires.
Il nous plaît de rire de nous-mêmes,
d’oublier pourquoi on est encore là.

16h38 #AuBureau
  • 4.7.19

Il fait un jour à faire sauter les frontières

Il fait un jour à faire sauter les frontières. 
On pose des barrières sans s’en rendre compte. Même si elle ne sont que voiles, elles n’en sont pas moins frontières. Frontières que sont nos manières de se vêtir ou se dévêtir, de parler, de rire, de pleurer, de s’aimer, de voir et d’entrevoir. Barrière que c’est d’être. Le monde et nous à distance. Heureusement, il y a toujours ton regard qui m’approche. 
Il fait un jour à faire sauter les frontières.
  • 3.7.19

Prendre le temps

Prendre le temps
(comme si on pouvait le saisir)
revient à s’acharner
à vivre aussi follement
qu’un poème prétentieux,
à vider sa tête des parasites,
en somme à rester sourd
à tout ce qui est trop pour l’homme
en cherchant ailleurs
ou dans une autre réalité
ce qui pourrait le sauver.
  • 2.7.19

On pourrait

On pourrait ignorer
au moins quelques secondes
ce désespoir qui file
entre les tables.

Rentrer nos têtes,
attendre que ça passe,
se faufiler entre les foudres
de ce soleil qui tuent nos nuques.

Arrêter de croire
que tout est perdu,
tendre un peu d’optimisme
entre les branches de nos arbres morts.

On pourrait.

19h04 #AuBureau
  • 1.7.19