Goutte à goutte

Tu regardes descendre le soir, goutte à goutte, dans l’assiette sale du jour. Rien ne s’oppose à la rêverie sinon ce chat miaulant vers quelques poussières, les pattes maladroites et le poil mal salivé. 
Tu ne regardes rien, en somme. Qui voit ce chat se perd dans son propre trou. Et tu te perds. Entre les gouttes qui ne sont même pas de vraies gouttes. Que du mou à donner au chat.
  • 29.11.23

Bruit intérieur

Tu as choisi un bruit intérieur parmi ceux proposés. Des hauts, des bas, des murmurés, des emmurés, des criés, des parfaits, des d’utilité dénués. 
Ils se sont présentés à toi au fil du temps, tous bruitant durant de longues années. Dans la cacophonie, tu les a jaugés, pesés, malaxés, regardés, chassés puis repris, à nouveau évacués puis gardés en creux.
Tu as appris à les apprivoiser — le bien le mal tout ça tout ça ! — pour finalement n’en garder qu’un, une note continue dans ta tête, une ligne de base basse, acouphène de tes amours.
  • 25.11.23

Sur l’épaule

Dans le mouvement, tu es cette caméra sur l’épaule du rêve. 
La nuit défait le décor. Derrière toi, disparaissent tes pas. Les ombres finissent comme des cris au fond d’un puits. Ton corps tombe dans le vide. Tu crois que tout est fini mais tu remontes à hauteur d’épaule sans savoir qui du rêve ou de la folie te porte. Le sommeil déroule un scénario sans ossature. Long métrage sans fin. Tu tournes, dévisses, déboites d’un côté de l’autre, chaloupe sur une mer démontée.
Dans le mouvement, tu es cet œil que rien ne fatigue.
  • 19.11.23

La gelée de coing

Tu cherches le trou du souvenir où te glisser. Pas la Madeleine mais l’intérieur de la madeleine. Une cocon moelleux dans le milieu. Voilà, fais ton trou, va chercher dans le dedans du dedans, dans le gras du dedans. 
Tu ouvres un pot de gelée de coing. C’est par ici le trou, c’est par ici le souvenir !
La cuillère pénètre dans la gelée mais pas facilement, ça résiste. C’est bien connu, le coing résiste, le coing n’est pas un fruit facile, c’est mieux quand ça résiste. Et le coing n’est pas un joli fruit, il n’a pas l’élégance d’une fraise née pour glisser entre les lèvres. Il est fait de coups, n’a pas de forme, est tout biscornu, malingre. C’est mieux quand ce n’est pas tout à fait joli, ça ramène son lot de cabosses tendres.
C’est parfait, reste dans le coing, plante la cuillère dans la gelée. Fais-y ton trou pour retrouver le souvenir doux.
  • 15.11.23

Les premiers pas

Les premiers pas et déjà le ciel secoue la nuit.  Quelque part, des bras s’ouvrent pour accueillir et calmer les vertiges, quelqu’un sourit sur une épaule.
Tu dors encore, malgré la marche. Le corps répond avant l’esprit, avant d’apercevoir le temps et l’espace.
Tes premiers gestes sont des restes d’une trop longue attente, des tremblements que la nuit aspire.
  • 13.11.23

La question

Tourner autour de la question ne suffisait pas. Elle s’était repliée. Plus rien ne parlait en elle. Je ne l’apercevais qu’à travers la serrure de la mémoire : un morceau découpé dans les pensées, un pied dans l’ouverture d’une porte, un nez pour sentir la vague arriver, une main posée sur la bouche. 
Elle était devenue une vieille rengaine sans jus, une personnification idiote. Elle avait peur de son narrateur, fuyait les reformulations en faisant les gros yeux, invoquait les cauchemars d’enfant pour se défiler. Elle se censurait.
La question disait être devenue forte et adulte, donc caduque. Je n’y croyais pas.
  • 5.11.23

La nuit joue des coudes

La nuit joue des coudes entre les heures 
J’entends par nuit les pensées mauves 
Qui traversent un instant la fenêtre 
Quand trop fixement on la regarde 
Ce temps absent propre à quelque rêve 
Dont on ne sait par quel bout prendre 
Les dérives les hauts les bas le roulis 
Que ça fait quand la nuit joue des coudes
  • 1.11.23