Il n'y a plus


Il n’y a plus. Plus que la nuit pour la démasquer. Et ça frise dans sa tête dès le crépuscule. Elle attend tout le jour derrière sa fenêtre, à guetter le point de bascule entre les bleus mourants et les rouges coupe-gorge. Il n’y a plus. Plus que la nuit pour l’apaiser : c’est le gris puis le noir qui donnent au regard le vide qui lui plait. Elle et ses rêves éveillés fixés sur l’horizon qui disparaît. Seule et débarrassée des encombres du jour, des couleurs trop violentes qui côtoient ses pensées, des traits trop emportés qui taisent son visage.

Il n’y a plus. Plus que le mordant des vêpres qui sonnent au loin pour croquer l’espoir : la vie qui ralentit au moins quelques heures pour un entracte à la frénésie du jour. Un répit salvateur qu’elle peint de couleurs chair, un pastel éthéré qui colle à son corps. Du bout de ses pinceaux diurnes, elle cherchera les nuits sauves et au plus tendu des ombres, quand le silence lui biffera l’esprit, elle glissera dans sa peau, légère et enjouée. Tomberont alors les trop pleins et les masques, les rides accumulées comme voilées par l’obscurité et les salissures du jour disparues en pluie revigorante.

Il n’y aura plus. Et elle sourira, peut-être.

Illustration : Anne Patay www.maplaneth.com

  • 27.12.12

Sac et ressac

La brume a détapissé l'horizon, ne subsiste du bleu tranché habituel qu'une douche cotonneuse qui ruisselle du ciel à la mer, un écran total à l'été disparu.
Sac et ressac.
Sac plein, derrière la fenêtre, suivre le parcours des gouttes de pluie fine qui viennent s’écraser sur les carreaux. Les plips et les plops étouffés par le vitrage s’accompagnent de vagues sourdes en fond sonore : la mer, la mer agitée où grondent les rouleaux d’écumes, comme pour occuper l’espace et se départir du ciel qui reste désespérément vide et blanc.
Ressac.
Sac de pensées contre ressac interminable, sa tête, front sur la vitre froide, glisse de haut en bas en laissant une longue trace ridée d’idées confuses. Lui et le spectacle neutre d’un paysage qui s’annule : les bleus se contrarient, les gris s’emmêlent, la pluie les lie. De cet amalgame, gagne le monochrome – blanc paralysant – qui s’installe calme en surface, bouillant dans le fond, le profond, bien au-delà de la vision.
Sac.
Sortir du sac de la torpeur à la faveur du cri rauque de la mouette, rescapée du chaud et du bleu qu’il y a encore quelques jours, quelques heures animaient les lieux. Lui et l’oiseau. Le suivre du regard, dans sa majesté planante, fuir ou se cacher derrière le rideau de brume.
Trouver une nouvelle dimension pour percer, et le vague, et les vagues, et le blanc du ciel qui se confondent. Lui et sa dimension de la fuite immobile. Lui obligé d’être en accord avec le décor, sans s’éloigner des pensées claires mais en acceptant le gris qui abat les saisons, les « trop » et les « pas assez » qui vont et viennent.
Re.

Texte initialement publié sur le blog de +Déborah Heissler pour les vases communicants de novembre 2012.

  • 25.12.12

Dans le foyer

C’est encore des instantanés, des miettes, des images gueules ouvertes. Un père aux allures de fantôme hantant pensées au repos d’une vie où le manque, même s’il se fait de moins en moins prégnant, fait encore surgir des historiettes à la pelle. 

L’hiver dans la maison familiale, les cheminées, seuls foyers de chaleur, ronronnent, dans la cuisine, dans le salon. Deux points rouges dans le vide froid, deux brasiers où brûlent les angoisses de chacun. On les évite quand on peut, on les lorgne comme des faux-semblants quand ils se font trop présents. Ils nous parlent en crépites de nos mots tus, singent des langues qu’il faudrait qu’on délie. C’est lui qui les allume avec de petits morceaux de ceps de vignes soigneusement arrangés pour que le feu prenne, pour le lourd silence cesse. C’est lui qui ajoute, une fois les flammes au plus haut, le rondin de bois sec, celui qui aura la lourde charge d’occuper les pièces, de dégager en douce incandescence nos mutismes étouffants.
Et toute la journée, il fera le tour de nous, sans nous voir, tout à ses flammes à contenir, au brasier à entretenir. Sans trop consommer de matières, économe de tout, les bûches longues coupées et les billots de bois lourds écorcés doivent durer, chauffer mais ne pas envahir de flammes ostensibles. Son bois ramassé en stères et élagué à la taille du foyer doit cramer lentement pour fournir la meilleure chaleur. Dans cette quête de douceur, dans cette recherche de bien-être, à couvrir l’hiver et l’humidité de la vieille maison, sa course inconsciente vers nous est déviée par nos regards lointains, nos exaspérations communes à voir ce père si attaché à brûler alors qu’autour tout est refroidi.

  • 15.12.12

Veillée avec le Minotaure #VasesCo @perceval45

Premier vendredi de ce mois de décembre, plaisir de recevoir André Rougier dans le cadre des vases communicants. Que vous le suiviez sur Twitter ou que vous l'ayez suivi sur Facebook, pour le reconnaître, c'est simple, suivez son gimmick en ligne : rssss. Plus sérieusement, il est l'auteur du blog "les confins", fourmillantes pages où il rend hommage à ses auteurs préférés - et quels auteurs ! - et plonge également sa plume dans les pixels avec des billets empreints de la littérature dont il gueule la beauté. Lire notamment ses élucubrations ou sa série "je me souviens" qui me plaît particulièrement. 
Vous lirez ci-dessous le texte d'André, reflet de sa présence en ligne, dans lequel on retrouve notamment Jacques Dupin ou encore Maryse Hache et également une galerie de photos de mon Hérault qui est aussi son "païs" (Merci pour le clin d'oeil). 
Mon texte "Un train gris et vert" est, comme il se doit, confiner dans son blog et la liste de l'ensemble des vases de ce mois-ci est rassemblée sur le blog dédié et se déroulera tout au long de la journée dans le scoop-it de Pierre Ménard.
Minotaure, copie d'une statue de Myron, Musée National d'Archéologie d'Athènes

"Un seul mot portera la réplique et le coup de grâce."
 (Jacques Dupin)

vase grec, fin du Vème siècle avant J.C

"Le croiras-tu, Ariane ? dit Thésée, le Minotaure s'est à peine défendu."
 (Jorge Luis Borges)


VEILLÉE AVEC LE MINOTAURE


Séparation dont l'instant prend la mesure, qui l'ébranle, la dénude, la veille, l'ampute, la porte au rivage d'où la lumière chute, l'adosse à l'exil où tout se tisse et se tient...
 Essaim sans choix, comme pétrifié, chant comble, parole truquée, lestée de qui l'évince, timbre, ornière, rouage, que souffle taillade, que besoin étrangle - lente autopsie des traques ne trompant plus ce que confusément elles font être...
 Consentir au Retour, alors, avant que le mentir ne s'en empare et l'habite, sourd passeur, ne reculant que pour en mesurer le chancelant cortège, en usurper les glus et les failles... 
Piétinements mats, étables borgnes, ordres murmurés, plaies de trop, gestes somnambules épuisant les yeux entravés, butin forgé d'éclipses, de multiples, de reliquats, pas qui divergent, mots vacillants sur quoi l'on bute, par quoi l'on intercède - entre deux gorgées d'aqua-tofana, comparses du dire et du revoir coulant et nous perdant derrière, au midi des voeux, aux flancs de la lèpre, tout à la jouissance de n'avoir jamais été l'Autre, à la blessure de grandir, à l'obscure joie de s'en aller...
Qu'on le sache: nulle parousie écourtant l'envol, nulle chasse cachant ses preuves impies à qui passe, puise et clôt: les raffineurs de poisons, les pourvoyeurs d'évidences...


Mais où est le maintenant qui n'est pas d'ici,

Le temps un et innombrable,

La paix qu'amont précède, mais n'en surgit d'aucun,

La circulaire solitude où j'exulte...



Étouffe ces bonds perméables à ta vaillance: dévoilés, comment pourraient-ils ne pas nous décevoir ?


Persévérence de l'engendré, enclos de nos jeux, prés de nos fêtes...


Tout ce que tu appris en lisant, en souffrant, en vivant, eaux de l'enceinte vigilante, verbe qui cèle, mesure qui respire...


Rien ne bougeait, chant des grillons, bourdonnement de guêpes énervées de chaleur et de lumière crue, cris des oiseaux, paysage rivé à cela qui tout sait de ce qui fut...


Tu t'ouvriras, oui, mais au seul épars qui exige des conspirateurs pour le dénouer...


Mise à distance, geste s'immolant aux replis qu'on recompte, arc à vif éboulé dans le temps buissonnier...


Quelle est-elle, la chose dont l'effacement est la seule certitude, qui en appelle à ce qui ne se laisse pas enfermer en elle-même ?


Bouts de mur, chimères huilées, puissance sans nom et sans cri, qui ne se peut, ni oublier, ni assouvir...


Que ne donnerais-je pour la mémoire

Du portail du pavillon secret

Que mon grand-père poussait certains soirs

Avant de s'égarer dans le sommeil

Plus vaste que la musique


N'adhère qu'au terme ajourné où tout sera silence, jamais aux anesthésies qui le dévaluent !


Paroles de profil, ombres à dire, paupières dévêtues livrant passage aux traces détournées, aux levains...

Que vaut, en face, la fragile insinuation de cette cohérence dont nous nous croyions, altièrement, revêtus ?


Héritière des trépas, fluide merveille qui ne traque, n'efface, n'attend...


Herbes cassantes, transies, bouclant le cercle à l'ombre duquel tu t'effrites...



"Dans cet exode où tant de paroles ont douté, où tant de poings ne heurtent que l'enclos de jardins fuyants, je suis à tes côtés. Je te donne la force d'entrer dans ta ville et l'orgueil de n'y point régner."
 (Jacques Dupin)

porte mangée 33 (photo de Maryse Hache)

"Au début, ce fut un peu tendu, puis nous nous sommes apprivoisés, retrouvés. Je sais maintenant que nous ne nous quitterons plus."

(paroles de Maryse Hache, maison d'Orsay, 1er étage, le samedi 20 octobre 2012 vers 18 heures)


Il y a dans l'adieu

la promesse du retour

aux trajets à la soif

à la pierre oublieuse

à l'incertitude des retrouvailles

Il y a dans l'adieu

du noir Soulages

du tracé épaissi

du trait durci

de la geste chancelante

Il y a dans l'adieu

le refus de se fixer

de se situer de capter

d'engranger d'amasser

Il y a dans l'adieu

le non aux tricheries du jour

aux accrocs aux chemins mûrs

aux zizags aux coeurs de cible

Il y a dans l'adieu

le sable effleuré

du lieu où l'on avance

sans y laisser d'empreintes


André Rougier

(sauf indication contraire, photos prises par André Rougier en Languedoc, essentiellement dans le département de l'Hérault, entre 2004 et 2009)

  • 7.12.12

C'est rêver

C’est rêver, c’est mélanger heurs du jour et contrariétés de la veille ou plutôt des veilles, des hier non soldés, de ces jours refoulés de la mémoire qui surgissent au milieu du désordre quotidien. Ce sont quelques secondes, parait-il, quelques secondes que le cerveau décompose en longue série d’évènements équivoques dans un étonnant mélange de scènes ubuesques. C’est entrechoc de frustrations, de manques en tous genres, de petites fêlures qui ne trouvent mots : un mille-feuille aux sous-couches insoupçonnées, lourd et indigeste. Des lacs paisibles aux marécages anxiogènes en passant par des labyrinthes de pensées diffuses, sans division possible, sans frontière, sans queue ni tête, l’animal du rêve renvoie la cacophonie du monde et la complexité du réel.

La nuit, elle irréelle, se résout à rassembler tout ce vacarme enfoui. N’importe quoi, pourvu que l’étrangeté fasse non-sens, intrigue par son impudence, déboucle au réveil les certitudes de maîtrise et balaye les dénis mal fagotés. Le psychisme fou, par définition évadé du contrôle des sens, fait soudain impression, rattrape la thérapie bobo pour laisser sur le carreau les traumatismes les plus profonds. Sensation sale de se tirer de la nuit par la fange ainsi répandue, concassé par un scénario décousu et les éléments comme repères de vie bafoués par les plus vils sentiments. La tête en vrac dodeline au sortir du rêve : vision panoramique au bord d’un précipice, le vide d’une falaise étroite où la réalité saccagée rend sourd les appels à la mémoire.

C’est rêver comme froisser le tangible pour en faire un costume importable. Le réveil a des manches trop longues, de l’amidon coincé sous les paupières et le regard sur le jour fuyant. Le rêve secret, cet instantané aveugle, a laissé des plis disgracieux, une fine tache sur le col : un baiser de  la nuit, cette grande repasseuse à sec. 

  • 1.12.12