Lectures 2023

LECTURES 2023 : je ne sais pas trop à quoi sert ce genre de liste mais puisque je l’ai faite, la voici :

JANVIER
▪️ Jacques Roubaud, Quelque chose noir
▪️ Jean-Baptiste Pedini, Suivre l’océan 
▪️ Louis-René des Forêts, les Mégères de la mer
▪️ Mila Tisserant, Contre-fugue
▪️ Henri Michaux, Façon d’endormi, façons d’éveillé 
▪️ Henri Michaux, Voyage en grande Garabagne 
▪️ Herman Melville, Bartleby
▪️ Jean-Claude Pirotte, Plein emploi
▪️ Damages, Christian Viguié
▪️ Guillevic, Art poétique 

FÉVRIER 
▪️ Michele Desbordes, le commandement
▪️ Milène Tournier, Ce que m’a soufflé la vie 
▪️ Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal
▪️ Nada Issa, -mnésie 
▪️ Antoine Emaz, Caisse claire
▪️ Michel Bourçon, Mélancolie des confins
▪️ William Cliff, America 
▪️ Jean-François Mathé, Chemin qui me suit 

MARS 
▪️ Sabine Huynh, Elvis à la radio
▪️ Cesare Pavese, Travailler fatigue La mort viendra et elle aura tes yeux 
▪️ Guy Goffette, Paris à ma porte 
▪️ Michele Desbordes, le commandement 
▪️ Herman Hesse, Demian
▪️ Léa Nagy, Le chaos du spectacle
▪️ Michaël Glück, Tournant le dos
▪️ Michaël Glück, Mensch
▪️ Laurence Vielle, billets d’où

AVRIL
▪️ Cormac Mc Carthy, La route
▪️ Anne Sexton (Sabine Huynh), Transformations
▪️ Marie-Philippe Joncheray, J’avance dans votre labyrinthe
▪️ Charlotte Mont-Reynaud, Naître encore
▪️ Charles Bukowski, Contes de la folie ordinaire
▪️ Christian Viguié, Ballade du vent et du roseau
▪️ Serge Prioul, Parler au monde
▪️ Pierre Autin-Grenier, Les radis bleus

MAI
▪️ Samuel Beckett, Molloy
▪️ Séverine Chevalier, Chronique judiciaire
▪️ Guy Goffette, Geronimo a mal au dos,
▪️ Claire Massart, Récif ou la peau de l’eau
▪️ Samuel Beckett, Malone meurt
▪️ Pierre Michon, Les deux Beune
▪️ Samuel Beckett, L’innommable 
▪️ Samuel Beckett, En attendant Godot
▪️ Samuel Beckett, Fin de partie 

JUIN
▪️ Samuel Beckett, Oh les beaux jours
▪️ Richard Brautigan, La Pêche à la truite en Amérique 
▪️ Richard Brautigan, Sucre de pastèque 
▪️ Christian Viguié, Nature morte avec page planche, ombre et corbeaux 
▪️ Samuel Beckett, Poèmes, suivi de mirlitonnades
▪️ Philippe Annocque, Rien (qu’une affaire de regard)
▪️ Alexandre Labruffe, Chroniques d’une station-service 
▪️ Richard Brautigan, C’est tout ce que j’ai à déclarer

JUILLET 
▪️ Samuel Beckett, Murphy
▪️ Antoine Emaz, Erre
▪️ Stéphane Bernard, Sole povero
▪️ Jose-Luis Borges, Le livre de sable
▪️ Stéphane Bernard, Combattant varié
▪️ Emmanuel Echivard, Avec l’ombre 

AOÛT 
▪️ Herman Melville, Moby Dick
▪️ Samuel Beckett, Watt
▪️ Jean-Michel Maulpoix, Une histoire de bleu, suivi de L’instinct de ciel
▪️ Samy Langeraert, Les deux dormeurs
▪️ Guillaume Siaudeau, Lundi mon amour
▪️ Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit 1/2

SEPTEMBRE 
▪️ Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit 2/2
▪️ Samuel Beckett, Mercier et Camier
▪️ Maxence Amiel, Par la fenêtre tardive
▪️ Luis Sepúlveda, L’ombre de ce que nous avons été
▪️ Laurent Mauvignier, Autour du monde
▪️ Dominique Fabre, Une enfance

OCTOBRE
▪️ Samuel Beckett, Nouvelles et Textes pour rien
▪️ Cathy Jurado, Intérieur nuit
▪️ Pascal Guignard, Villa Amalia
▪️ Samuel Beckett, Le Dépeupleur
▪️ Samuel Beckett, La Bande suivi de Cendres
▪️ Caroline Diaz, Comanche
▪️ Samuel Beckett, Premier amour
▪️ Eugène Savitzkaya, Fraudeur
▪️ Eugène Savitzkaya, Marin mon cœur
▪️ La folie du jour, Maurice Blanchot

NOVEMBRE
▪️ Laurent Margantin, Le Chenil
▪️ Pierre GONDRAN dit REMOUX, Les arbres indéfendables
▪️ Jean Echenoz, Ravel
▪️ Samuel Beckett, Bande et sarabandes
▪️ Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit (1/2)
▪️ Pierre GONDRAN dit REMOUX, Réa
▪️ Samuel Beckett, Compagnie
▪️ Samuel Beckett, TÊTES-MORTES 
▪️ Samuel Beckett, L’image

DECEMBRE
▪️ Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit (2/2)
▪️ Dominique Boudou, mes pas sont mes vers
▪️ Eugène Savitzkaya, Fou de Paris
▪️ Georges Perec, W ou le souvenir de l’enfance
▪️ Jean-Christophe Belleveaux, Les lointains
▪️ Michel Bourçon, Matins de ciel et d’oiseaux
▪️ Pierre Bergounioux / Anaïs Tondeur, Steraspis speciosa / textes Voir l’abeille, le trèfle / photographies 
▪️ Samuel Beckett, Mal vu mal dit
▪️ Samuel Beckett, Pas suivi de Fragments de théâtre I et II, Pochade radiophonique - Esquisse radiophonique
▪️ Sabine Péglion, Cet au-delà de l’ombre
  • 30.12.23

Plus rien

Tu dis que plus rien ne vaut la peine. Que les dates sont dépassées. Tu ne sais pas très bien quand cela a commencé ni cela a réellement commencé ou bien a toujours existé. Qu’est-ce qui est dépassé ? Par qui ? Par quoi ? Pourquoi ? Est-ce le début ou la fin du grand questionnement ?
Va savoir. Tu dis que personne ne sait. Qu’il faudrait aller savoir si on avait un peu plus de courage. Mais par où savoir ? Quel chemin, quel sens à donner ou prendre ?
Puis tout à coup, un chocolat praliné à la noisette avec un café noir bien serré.
  • 27.12.23

Tu dis qu’écrire

Tu dis qu’écrire, c’est déjà être dans l’absence. Ton regard fixe un bout de mur. Tes yeux sont deux cailloux sur un lac qui par ricochets s’éloignent. Plus de corps, juste quelques mots flottant sur l’eau. Tu dis qu’écrire est un masque derrière lequel s’inventer : c’est là, la vraie disparition. Ton regard plonge et tu tombes de très haut sur le lac devenu mur.
  • 17.12.23

Pensées joueuses

Tu rentres et rassembles les restes de la journée en fixant le trottoir. Tes pensées joueuses sautent d’une sphère à l’autre, le peu côtoie le trop. Tu roules mentalement une cigarette, l’odeur de tabac sort de terre comme une invite. Le manque côtoie l’eau trouble qui court dans la rigole. Tu souris pour toi, une pensée plus drôle qu’une autre t’aura rattrapé avant la nuit.
  • 13.12.23

Les heures sont élastiques

Les heures sont élastiques. Chacun prend la sienne et la tend ; certains mollement, d’autres au maximum. Tu entends claquer ici une heure, là-bas tu en vois une autre dégouliner d’une fenêtre. 
Tu n’as plus d’heures. Tu te sens si vieux, le temps a filé loin sans toi. Clac. Disparu. Tu portes sur le visage la blessure des heures, à l’esprit le souvenir de l’élastique bandé. Les heures élastiques sont mortes.
  • 9.12.23

Personne ne viendra éteindre

Personne ne viendra éteindre le jour. Il le fait tout seul. Tu te dis ça comme si tu étais maître des réverbères. Un instant, ton esprit a cru, blotti sous les paupières, qu’il suffisait de cligner pour qu’ils s’allument un à un, les réverbères, ces petits témoins du jour qui s’éteint. Personne n’éteint ni ne rallume. Tu te dis ça dans le cliquetis qui précède le vrombissement de la flamme dans la chaudière.
  • 6.12.23

Il t’arrive de penser

Il t’arrive de penser que tu fais partie des murs, du sol, des meubles, élément parmi les autres éléments du théâtre de la maison ; partie des choses, des plus indispensables aux plus futiles, descendant ainsi l’échelle de l’utile à l’inutile jusqu’au plus con : toi. 
Et puis, d’autres jours, non, tu te sens libre, capable de regarder par la fenêtre et de plonger dedans, dans le ciel derrière, dans le grand tout. Un regain d’importance qui te ferait presque voler. Sans corps, juste avec l’esprit. 
Oui, il t’arrive de penser mais pas souvent.
  • 2.12.23

Goutte à goutte

Tu regardes descendre le soir, goutte à goutte, dans l’assiette sale du jour. Rien ne s’oppose à la rêverie sinon ce chat miaulant vers quelques poussières, les pattes maladroites et le poil mal salivé. 
Tu ne regardes rien, en somme. Qui voit ce chat se perd dans son propre trou. Et tu te perds. Entre les gouttes qui ne sont même pas de vraies gouttes. Que du mou à donner au chat.
  • 29.11.23

Bruit intérieur

Tu as choisi un bruit intérieur parmi ceux proposés. Des hauts, des bas, des murmurés, des emmurés, des criés, des parfaits, des d’utilité dénués. 
Ils se sont présentés à toi au fil du temps, tous bruitant durant de longues années. Dans la cacophonie, tu les a jaugés, pesés, malaxés, regardés, chassés puis repris, à nouveau évacués puis gardés en creux.
Tu as appris à les apprivoiser — le bien le mal tout ça tout ça ! — pour finalement n’en garder qu’un, une note continue dans ta tête, une ligne de base basse, acouphène de tes amours.
  • 25.11.23

Sur l’épaule

Dans le mouvement, tu es cette caméra sur l’épaule du rêve. 
La nuit défait le décor. Derrière toi, disparaissent tes pas. Les ombres finissent comme des cris au fond d’un puits. Ton corps tombe dans le vide. Tu crois que tout est fini mais tu remontes à hauteur d’épaule sans savoir qui du rêve ou de la folie te porte. Le sommeil déroule un scénario sans ossature. Long métrage sans fin. Tu tournes, dévisses, déboites d’un côté de l’autre, chaloupe sur une mer démontée.
Dans le mouvement, tu es cet œil que rien ne fatigue.
  • 19.11.23

La gelée de coing

Tu cherches le trou du souvenir où te glisser. Pas la Madeleine mais l’intérieur de la madeleine. Une cocon moelleux dans le milieu. Voilà, fais ton trou, va chercher dans le dedans du dedans, dans le gras du dedans. 
Tu ouvres un pot de gelée de coing. C’est par ici le trou, c’est par ici le souvenir !
La cuillère pénètre dans la gelée mais pas facilement, ça résiste. C’est bien connu, le coing résiste, le coing n’est pas un fruit facile, c’est mieux quand ça résiste. Et le coing n’est pas un joli fruit, il n’a pas l’élégance d’une fraise née pour glisser entre les lèvres. Il est fait de coups, n’a pas de forme, est tout biscornu, malingre. C’est mieux quand ce n’est pas tout à fait joli, ça ramène son lot de cabosses tendres.
C’est parfait, reste dans le coing, plante la cuillère dans la gelée. Fais-y ton trou pour retrouver le souvenir doux.
  • 15.11.23

Les premiers pas

Les premiers pas et déjà le ciel secoue la nuit.  Quelque part, des bras s’ouvrent pour accueillir et calmer les vertiges, quelqu’un sourit sur une épaule.
Tu dors encore, malgré la marche. Le corps répond avant l’esprit, avant d’apercevoir le temps et l’espace.
Tes premiers gestes sont des restes d’une trop longue attente, des tremblements que la nuit aspire.
  • 13.11.23

La question

Tourner autour de la question ne suffisait pas. Elle s’était repliée. Plus rien ne parlait en elle. Je ne l’apercevais qu’à travers la serrure de la mémoire : un morceau découpé dans les pensées, un pied dans l’ouverture d’une porte, un nez pour sentir la vague arriver, une main posée sur la bouche. 
Elle était devenue une vieille rengaine sans jus, une personnification idiote. Elle avait peur de son narrateur, fuyait les reformulations en faisant les gros yeux, invoquait les cauchemars d’enfant pour se défiler. Elle se censurait.
La question disait être devenue forte et adulte, donc caduque. Je n’y croyais pas.
  • 5.11.23

La nuit joue des coudes

La nuit joue des coudes entre les heures 
J’entends par nuit les pensées mauves 
Qui traversent un instant la fenêtre 
Quand trop fixement on la regarde 
Ce temps absent propre à quelque rêve 
Dont on ne sait par quel bout prendre 
Les dérives les hauts les bas le roulis 
Que ça fait quand la nuit joue des coudes
  • 1.11.23

La question

La lumière lécha un jour la tapisserie ornée de grosses fleurs et dans son reflet se posa la question. Dans la lueur, elle variait, tournoyait, pollinisait et finit par s’installer. 
La question naquit ici, dans la chambre de l’enfant. Elle y grandit taraudant les fleurs comme l’esprit.
Bien plus tard, je revins dans la maison aux fleurs fanées, berceau de la question, tournant autour comme le fit autrefois la lumière. Depuis, je suis ce derviche sans repos.
  • 29.10.23

La question

La question ne se posait plus. Mais elle rôdait dans les contreforts de la mémoire, ressemblait à une vieille bêtise d’enfance dont on aurait oublié l’importance et qui revenait de temps à autre sous forme de souvenirs. De bons ou mauvais souvenirs ? C’est bien cette réponse que la question ne portait plus. 
En attendant, elle était devenue cette chaussette sale oubliée sous un meuble. Il y a bien un moment où il faudra pousser le meuble et la découvrir.
  • 26.10.23

La question

Il se posa la question à six heures du matin et, étrangement, n’obtint pas la même réponse que la veille dans l’après-midi. Il se posa la question à minuit, à midi, les réponses étaient encore différentes. Les réponses semblaient vivre de façon autonome, sans la question. À côté, très proches, mais sans tenir compte du propos initial. C’était comme demander l’heure et répondre qu’elle était ronde ou s’enquérir de la santé d’une personne et s’entendre dire qu’elle était blonde. 
Il finit par ne plus se poser la question.
  • 24.10.23

L’hiver sera long

Elle lui dit qu’elle ne va pas passer l’hiver là, à tourner en rond. Que c’en est trop, ça suffit, basta !
S’ensuit une longue attente, le téléphone collé à l’oreille, bouée à laquelle elle s’accroche. Elle écoute son correspondant longuement essayer de la calmer. 
Hiver. Pas ici. Non. Trop. 
Elle place des mots du bout des lèvres, des débuts de colère pour l’entrecouper qui tombent de sa bouche en pure perte. Le téléphone sur sa joue est une île, un coquillage seul sur cette île ou une poignée qui n’ouvre plus rien. Elle raccroche. 
L’hiver sera long sur le balcon.
  • 21.10.23

Qu’est-ce qu’on en parle

À bien regarder son œil en spirale 
La fenêtre s’en va seule profonde
Découvrir les dessus et dessous du ciel
On ne sait rien des lignes qui fuient
Des plis replis contournements et garde-fous
Pas plus le chemin que la finalité
Nos regards plongent en elle en lui en quoi ?
On ne sait rien mais qu’est-ce qu’on en parle
  • 18.10.23

Ça glousse dans les allées

Ça glousse dans les allées. Les voix se mélangent, se sautent dessus mais lentement. À la faveur des bruits, à l’octave près, on se constitue des paroles. Les mots vont avec les gestes. L’ouverture du portail automatique allume son gyrophare, puis les chaînes cliquètent comme s’il s’agissait d’un pont-levis. Les clés de la voiture sont sonores, elles aussi. Deux alertes rapprochées, bip, bip et un éclair entre les voix porte haut dans la brume du soir. Portail, télécommande de clés, autant de sons quotidiens, formules et babils naissent et disparaissent. Grave et sombre, c’est la bascule dans les allées. La nuit gagne et écoute.
  • 16.10.23

Devant derrière

Le jour a pris le premier pull qui venait. Là au pied du lit, sans réfléchir. L’a mis à l’envers, devant derrière si bien qu’il a le col dans le dos, l’étiquette visible sur la nuque. 
Ça donne un ciel ébouriffé avec des joues creuses, sans allure et avec des poils de nuit dans les yeux. Rien qui ne donne envie de l’embrasser. Voilà un jour né d’une couleur mal réveillée, d’un mauvais pastel. Pas même gris. Grège, mélange de malgré et de fausse neige. Je vais me recoucher.
  • 14.10.23

Je vois le rouge

Je vois le rouge sur le toit qui monte, rampe entre les tuiles. Le ciel tient une lampe, m’impose un silence dans le brouhaha du soir. Tient une lampe sur les rires de deux enfants sortant d’une voiture, têtes et pieds en avant dans le même désordre, deux boules de feu dont l’énergie déborde de la rue. 
Je vois le rouge sur le toit qui monte avec la grâce des heures d’automne lorsque le soleil pour son coucher, descend lentement,  descend sur les enfants encore en chahut comme pour les border.
  • 7.10.23

Compassée ou concupiscente

Est-ce que j’ai rêvé, ce regard 
Levé sur le lointain de mon front 
Ces battements de paupières 
Qui ont épelé « gêne » quelque part 
Entre mes sourcils relevés 
Ou me suis-je imaginé une œillade
Plus compassée que concupiscente ?
Tant pis la passante est partie, tant pis
  • 25.9.23

Pépouze

Là à brosser les habitudes dans le sens du poil 
Qu’un chien passe, aboie, avec ce qu’il faut de retenue 
Pour ne pas dire qu’il hurle, que non la mort n’est pas pour aujourd’hui 
Qu’il est ici, pépouze, entre un pipi sur le réverbère 
Et le jappement qui vient juste après, lui aussi 
En train de brosser les poils de l’habitude
  • 23.9.23

Les vieux voisins

Par la fenêtre bien serrée, les vieux voisins regardent passer les gens de la rue. Les va-et-vient font leur monde à travers la vitre, sans bruits. Un cinéma muet, de quoi parler plutôt que rêvasser au plafond, craintifs des taches noires où s’arriment les fantômes du vieux lustre. Plutôt que de se regarder, voir dans leurs yeux la lumière passée et le silence redoutable de leurs pensées.
  • 22.9.23

La pente du toit

La pente du toit de la maison voisine me parle de l’ennui, des heures qui se chevauchent, tête-bêche jusqu’à en crever. L’histoire est mince, l’intrigue rebattue.  
Les tuiles, l’une sur l’autre en conciliabule, se gardent bien de développer. Elles sont là, efficientes contre les pluies, les soleils, les froids, les chauds, savent combien l’ennui germe sous le vert-de-gris, mais se taisent. 
La pente du toit, elle, bavarde, lance des idées brouillonnes, griffonne des soliloques fiévreux pour finalement rien n’en sortir. À quoi bon faire sens, me dit-elle, glisse… Pente de pluie, de soleil, de neige, continue à faire de l’ennui. Glisse et n’essaie pas de t’accrocher.
  • 16.9.23

Elle est chez elle

La nuit prend ses quartiers. Elle est chez elle, grignote les secondes puis les minutes, bientôt les heures et chaque jour qui passe, elle en veut encore plus. Cette vorace ! Le temps d’écrire ces lignes, elle a déjà mangé le dernier étage de l’immeuble d’en face.
C’en est fini des nouveaux rideaux jaunes de la fenêtre du milieu, disparus d’un battement de cils. Terminé le reflet mauve qu’animait le dernier rayon de soleil sur la vitre au-dessus du réverbère ; réverbère qui la laisse venir à lui, la nuit, avec ses grands airs de duchesse, avant de s’affoler de la loupiote comme pour la saluer. 
Et c’est déjà le second étage qui est consommé, puis le premier sur lequel elle tombe sans vergogne, mais plus lentement, en atterrissage doux. La nuit, dans sa majesté, nous accorde un dégradé de lumières et d’ombres pour enfin tout à fait recouvrir la femme au balcon fumant sa dernière cigarette.
  • 13.9.23

Pourquoi ?

Là dans le square à chercher pourquoi ces sales pigeons ont toujours faim, à me demander pourquoi les enfants au bout de la dixième glissade de toboggan crient encore et toujours leur surprise ; dans le square avec une envie soudaine de meurtre et la réfrénant me demander pourquoi n’a-t-on pas gardé des cabines téléphoniques, même vides, pour que les gens qui souhaitent parler fort à leur smartphone s’enferment dedans et ainsi évitent des assassinats trop trop bêtes, pourquoi ? À glisser une main dans mes cheveux et penser : pourquoi la calvitie précoce de ce trentenaire face à moi me rend triste ? Enfin mais pourquoi les deux jeunes femmes à la terrasse du café près du square, ensommeillées devant leurs cappucinos, regardent-elles les gens du square avec un tel dédain ? Pourquoi me regardent-elles ? Là dans le square. Pourquoi.
  • 10.9.23

La ville étire ses bras

La ville étire ses bras, fabrique avec les petits bruits éparpillés dans le ciel une mosaïque qu’elle colle sur les murs et dans les oreilles. Oiseaux, moteurs, bruits de pas et de roues de vélos. Cliquetis et voix d’enfants, murmures et sifflets, toux d’hommes et feulement de chats. 
La ville se réveille et compose avec ce qu’elle entend mais aussi respire, voit, boit, mange ; elle peint une grande fresque qui fera un joli jour à qui sait regarder et élargir les angles. Sans fatigue, tous les jours, elle déplie sa table d’artisan qui aime le travail bien fait et recommencé.
  • 9.9.23

La journée a de beaux yeux

La journée a de beaux yeux, un peu plissés, en amandes comme on dit ou alors en tout autre fruit sec. Des yeux secs avec un lueur mauve à l’intérieur, étrangement mauve pour la saison.
La journée a de qui tenir. De qui ? On ne sait pas. D’hier ou de demain. Allez savoir. Oui, allons savoir quel goût elle a, cette journée, cette couleur mauve, ces yeux plissés. Allons voir ce qu’il adviendra de ces sensations qui parcourent les yeux de la journée qui décidément sont bien tordues, bien étranges pour la saison.
  • 7.9.23

La nuit, cette affolante

Encore trop tôt pour y voir, la nuit tâtonne dans le couloir. À vouloir chercher des noises au dernier rêve, elle serre ses mains sur le mur des pensées. Presse si fort qu’entre les tempes circulent les cymbales des jours de foire, la fête en moins et le défilé d’ombres. La nuit, cette affolante. 
Un verre sur la table de chevet. Son eau tremble, chaque mouvement est une perte, circulaire, du bord au centre, au son des cymbales, au tambour des tempes. L’eau, le sang, les os, le corps. La nuit tâtonne, se cogne à trop de discours. Elle ne sait rien dire que des signes mal dégrossis. La nuit, cette affolante.
  • 4.9.23

Rien

Un crocodile doit bien bâiller quelque part, un orang-outan s’étirer entre deux arbres, une mouche éternuer en se réveillant, une libellule roter après son petit-déjeuner, un moustique désespérer devant une peau couverte de la tête aux pieds, un coléoptère doit bien cligner des yeux sous le soleil, une petite antilope courir dans une herbe gelée de rosée, un rhinocéros se limer les cornes contre un tronc flottant, un lion rugir de solitude dans la savane… Et j’en passe. Tandis qu’ici je ne fais rien, mais alors vraiment rien.
  • 30.8.23

Des fois que

J’écoute à la fenêtre tomber la pluie, petites lignes qui s’étirent avec plus ou moins d’élégance. Elle part, revient. Je sais que je ne peux rien en retenir. De sa rectitude béate, de sa fraîcheur, de son odeur un peu aigre, je me repais. Et quand je dis qu’elle manque d’élégance, ce n’est que pour la pousser un peu plus loin ; qu’elle vienne, vexée, parler à ce qui pleut en moi. Des fois que l’on se comprenne.
  • 27.8.23

Petites lâchetés

Aujourd’hui aura son lot de petites lâchetés que l’on n’avouera qu’à nous-mêmes. Compromissions comme des prisons dont les barreaux imbéciles nous encerclent. Évidemment, les sourires seront là pour masquer les visages. Les étirements répétés des sourcils feront taire les questions. Quelqu’un passera une main dans les cheveux, juste pour se donner de la contenance, ne pas répondre à ce qui engonce. Un autre changera de discussion, jouant du contrepied avec une dextérité qui ne trompera personne. On se dira la météo, tout juste le nez relevé de nos smartphones. Rentrée de septembre, il fait chaud pour la saison. Comment va le petit dernier ? Et on pensera à tout autres choses. Tous un peu pleutres.
  • 25.8.23

Copier-coller

Une longue robe sort de la nuit
Trainant son sac et des colliers
De paroles orphelines à voix haute
S’adresse à la rue fait de l’ombre 
Aux murs pleins de brume chaude 
Je vois dans la robe la femme
Sans qu’elle me voie il faudrait
Découper sa silhouette avant
Qu’elle se disperse la copier-coller
Dans un carnet pour ne pas l’oublier
  • 24.8.23

Un peu d’eau

On prend un peu d’eau dans l’air figé
L’été paresse dans les allées de jambes
Le sang qui nous traverse change de bord
Gargouille sous les toits une chanson douce
Sa petite mélancolie pique un fard  
L’eau se charge d’en diluer le charme
  • 22.8.23

Au plus fort de l’été finissant

Là, au plus fort de l’été finissant, sous un ciel blanc 
Alors que je suis assis à retaper de vieux moulins à paroles
Un vieil homme passe, me voyant courbe l’échine
Ses yeux cherchent le vide dans le vide 
Là, me lance au plus fort du finissant, un regard blanc
Comme une invitation à partager sa mort
  • 20.8.23

Grésillements

La lampe a des ratés, il faudrait changer l’ampoule
De petits soubresauts de lumière, grésillements 
Dans ma tête d’anciennes incandescences, vieilles 
Lubies datant des boutons en porcelaine s’échappent 
J’attends que le filament claque, ça ne viendra pas
  • 18.8.23

Diapason

Continuer la nuit à ras de jour la joie posée 
Sur la crête d’un rêve : écouter le battement
Comme on écouterait la mer dans un coquillage 
Ne pas croire à ses tempes qui bourdonnent 
S’imaginer musique lente à son diapason
Rester là à compter les temps de respiration 
Les signaux faibles que le jour donne en écho
  • 17.8.23

Poetites annonces 1

Particulier en mal d’air pur 
Recherche éventail à sornettes 
Pour venter et chasser
Intrus et mauvaises humeurs 
Guignols et acariâtres s’abstenir
  • 16.8.23

Samuel Beckett, Watt

« Alors Watt dit, à serrure simplette clef complexe parfois, mais jamais clef simplette à complexe serrure. Mais à peine dits ces mots, Watt les regretta. Mais trop tard, ils étaient dits et ne pouvaient jamais être oubliés, jamais dédits. Mais un peu plus tard il les regretta moins. Et un peu plus tard il ne les regretta plus du tout. Et un peu plus tard il les goûta de nouveau, comme s'il les entendait pour la première fois, si suaves, si câlins, dans son crâne.
Et un peu plus tard il les regretta de nouveau, amèrement. Et ainsi de suite. Tant et si bien qu'il finit par parcourir, à l’égard de ces mots, toute la gamme, ou peu s'en faut, du remords et de l'euphorie, mais surtout du remords. Et il n'est sans doute pas sans intérêt de constater ce comportement, dans la mesure où Watt en était coutumier, dans ses rapports avec les mots. Et si quelquefois il suffisait d'un moment de réflexion pour fixer son attitude, une fois pour toutes, envers les mots qu'il lui arrivait d'entendre, dans son crâne, de sorte qu'il les aimait, ou ne les aimait pas, plus ou moins, d'un amour inaltérable, ou d'une inaltérable aversion, cependant le cas n'était pas fréquent, non, mais à force de penser tantôt une chose, tantôt une autre, il finissait le plus souvent par ne plus savoir que penser des mots entendus, dans son crâne, et fussent-ils aussi clairs et modestes que ceux précités, d'une signification aussi évidente et d'une forme aussi inoffensive, ça n'y faisait rien, il ne savait plus qu'en penser, d'un bout de l'année à l'autre, s'il fallait en penser du mal, ou du bien, ou rien du tout. »

Samuel Beckett, Watt, Éditions de Minuit, 1969

  • 15.8.23

Et autres verbes en l’air

Que faire des mots qui abondent 
Avec la puissance d’un jet de fontaine 
Sans en mettre partout sur la langue
Le menton la gorge jusqu’aux pieds
Mots bruts gouttes d’eau informées 
Par ne sais quelle presse bien mal acquise 
Bouger laisser couler et autres verbes en l’air
  • 15.8.23

La lumière d’août

La lumière d’août colle les murs
Le jour n’a pas encore démarré 
Qu’elle se chamaille avec une ombre
Puis revient faire le Roi du silence 
Au beau milieu de la fenêtre 
Clin d’œil et de nouveau s’agite 
Sur le pare-brise d’une auto en fuite 
La lumière d’août est une enfant 
À qui souvent je parle sans qu’elle m’écoute
  • 13.8.23

Sous le tilleul

Ce n’est pas le tilleul avec ses feuilles taillées comme des larmes qui fera bouger les choses. Des dizaines voire une centaine d’années qu’il est là et n’y pourra rien changer. Le temps est ovale, aussi bondissant qu’un ballon de rugby. Il roule cahin-caha pour se perdre entre des poteaux lointains. 
Tout appliqué à écrire ces lignes, le tilleul me parlant tout bas, avec la sagesse que l’on prête aux arbres, je ne l’ai pas vu passer, le temps. Quatre phrases ont suffi à me faire oublier mes ruminations matinales qui avançaient redondantes et trébuchantes. C’est peut-être et avant tout pour cela que j’écris : oublier le temps.
  • 11.8.23

Ablutions

Là sur un banc près de l’église 
Un homme de tout son long dort 
J’écoute la ville faire ses ablutions 
À l’eau de la fontaine permanente
Dont le cliquetis ou le gargouillement 
À coup sûr se trouve dans le rêve 
De l’homme sur le banc dormant 
Sous forme de flots ou de grand pré 
De cascade ou de joli ruisseau 
Ou plus prosaïque d’envie d’uriner
  • 10.8.23

Un bras sur votre épaule

Un bras souvent descend sur votre épaule 
À l’heure où tout commence à se calmer
Les corps ralentissent sous la rumeur
Les bruits sous cloche n’ont plus d’échos
Si on savait le peser, l’air y serait plus léger 
Ah ce qu’il enlève de poids, ce bras invisible
Qui après l’heure de midi descend vous enlacer
  • 9.8.23

À nos petites folies

On a allumé le vent, celui qui rend fou
La ville perd la tête, nous voilà fadas
Ici on ne le claironne pas mais on pense
À nos petites folies qui festonnent 
Entre les bourrasques et nos mâchoires 
Oh fada ! on s’en balance, on reste là 
On attend Landolfi pour nous sauver

(Pauème de Marseille, à lire aveque l’accent)


  • 7.8.23

Comme un bonhomme

Je retiens l’instant, ce qui me traverse et veut sortir des yeux. Je retiens parce que je suis un bonhomme ! Mon père disait ça quand les émotions l’étreignaient : je suis un bonhomme, on est des bonhommes et se tournant vers moi, il cherchait l’acquiescement. 
Je retiens l’émotion comme on enlève sa main du feu. Par réflexe. Je ne pense pas à mon bonhomme de père, je me retiens. 
Ce n’est pas la peine d’étaler ses misères. Il disait ça aussi : n’étale pas tes misères, ça n’intéresse personne ! Ce n’est que de l’orgueil tout ça, une petite blessure qui guérira toute seule. Et aujourd’hui me tournant vers la fenêtre, le regard porté loin vers le manque, je me cherche une poussière dans l’œil pour sécher discrètement mes larmes. Comme un bonhomme.
  • 4.8.23

Des signes au loin

L’enfant seul fait des signes au loin
Il n’est qu’une tache noire des bras
Au-dessus s’agitent les mains 
Il fait avec pouce et index des ronds 
Des flèches des formes traversées
Lève un doigt en baisse quatre
Et combine dans l’air fatigué 
Il signe à un oiseau ou à lui-même
Je ne sais pas mais je l’envie
  • 3.8.23

10 minutes, sur un banc

Lui, rougeaud, la fixe. Il est inquiet. Son regard balaie ses yeux à elle, recherche un assentiment qui ne vient pas. 
Elle, genoux repliés jusqu’au menton, enlace ses jambes, les serre jusqu’à faire de petits renflements de peau sous ses doigts.
Lui, assis sur une fesse, buste de trois quarts tourné vers elle :
— Tu ne m’as laissé le temps, c’est compliqué !
Elle, rien. Les orteils dans ses sandales battent la mesure de ses paroles à lui. Elle, rien, de sa tête descendent des lunettes noires. Rideau.
— Je ne vais même plus au Rugby. 
Elle se tord. Elle bout. Délace ses genoux et son chignon. Les cheveux tombent, de ses yeux un peu d’eau. 
— Sur 1550 euros, après loyer, charges, courses, il nous reste 300 euros.
Lui, se gratte la barbe. La peau de son visage est parcheminée de billets de banque. Son regard est un compteur.
Lui, réprime l’eau.
Elle, inaudible, parle. Voix faible, étranglée de sanglots. Les jambes retombées au sol balance de gauche à droite. Ses mains remontées derrière la tête disent qu’elle ne l’écoute plus. Il le sait.
Lui, part.
Le silence d’après s’étale, épais.
Elle, rattache ses cheveux lentement. Me regarde par-dessus les lunettes. Part.
  • 31.7.23

Brume contre brume

Elle sort et cherche le soleil. Un œil vers le ciel et l’autre vers moi. Je ne la regardais pas, pourtant nos regards se croisent. Je sais qu’elle déplore le gris du jour. Un gris qui s’étale dans la rue comme s’il voulait refaire façades et ciel, cœur tête et ventre des gens qui sortent le matin sur leur balcon pour voir le soleil. Nous sommes ces gens qui ne se disent rien, qui ne se sourient même pas. La nuit est encore trop présente sur nos joues, elle tartine du noir sur du gris, fait des ombres sur nos fronts, effraie nos pensées. Brume contre brume, j’efface la voisine de mon regard. Elle fait de même. Bonne journée.
  • 29.7.23

Ce petit chien

La journée finie pliée sous le bras 
À traîner fatigue sur le trottoir 
J’avance dans le décor rue trottoir 
Les pensées affleurent repartent 
Alors un petit chien assis sous un panneau
Dans la même position qu’un enfant 
La patte sur la route à faire misère  
Ce petit chien je crois m’a souri
  • 28.7.23

Bleu canard

Bien sûr il y a la lumière qui danse
Dans les arbres reflet de l’eau mêlée 
Au soleil aussi léger que l’air
Bien sûr il y a le bassin d’eau verte 
Amusé par sa peau nuance de jaune
Les enfants, leurs mies de pains 
Le bleu canard qui joue l’impressionniste 
Mais il y a des manques dans l’éclairage
Des petites plaies à la surface
Le temps ondule mal entre les lueurs
Trop d’aplats sous les pics de brise
Le cliché manque de sincérité
Comme une photo trop instagrammée
  • 22.7.23

Sur le bord, ébréchée

Me revient une image, nature morte sans nature : une simple assiette sur la table avec des motifs bleus entrelacés. Sur le bord, ébréchée. La lumière ne vient pas jusqu’à elle ou à peine, d’une lampe, loin, depuis une autre pièce dans laquelle je sais quelqu’un veiller, assis sur une chaise à bascule. La personne assoupie se balance et l’assiette continue de se fendre. La brèche grandit, du bord vers le centre, dégage un léger craquement semblable au bruit d’une craie sur une ardoise. Elle se coupe en deux morceaux. Le balancement de la chaise ralentit puis s’arrête. Le jour se lève. Sur le bord, ébréché.
  • 18.7.23

Sur lui-même

On a passé le ciel à la crème, le bleu au baume
Midi va sonner et plus rien déjà ne luit, voile à l’œil
Douché par une petite amertume, dimanche se replie sur
Lui-même comme du papier glacé au soleil 
  • 16.7.23

Il faut que je travaille, maman

« Il faut que je travaille, maman ».  Comme un mantra, la phrase est répétée avec une intonation qui dit la fatalité. « Il faut que je travaille, maman » est la réponse à tout. Dans le téléphone que tient la femme au balcon, elle est articulée nettement au bout de chaque propos. Maman parle, explique, essaie de tirer au clair la situation, s’inquiète pour sa fille puis se tait et accueille la phrase comme seule solution. « Il faut que je travaille, maman » fait ses gammes : la voix de la femme au balcon transporte lassitude et angoisse dans un même refrain. La phrase monte haut, culmine, redescend. Se module, expire, meurt. On pourrait en tracer la courbe, elle suivrait celle du chômage. Il. Faut. Que. Je. Travaille. Maman.
  • 15.7.23

Ma parole !

l’arbre dans le jardin public 
semble donner des réponses 
à des questions jamais posées
ombres clins d’œil phrases courtes
poses longues s’enchaînent 
sans que rien ne puisse l’arrêter 
de déblatérer — cet arbre est soûl 
ma parole !
  • 14.7.23

Sacrifice et Rédemption

Je m’aperçois que les mots Sacrifice et Rédemption sont flous pour moi. Leurs définitions se croisent, se ratent comme si elles avaient eu rendez-vous un jour et qu’elles s’étaient mutuellement posées un lapin. 
Au coin de la rue, le matin discute à petites voix. Il y a fort à parier que ces voix ne se soient pas couchées. Ce sont des voix de nuit, entre sacrifice et rédemption. Elle parle de religion ou du dernier film qu’elles ont vu, de peines de cœur ou de l’été gros qui pèse sur l’aube. Aucun de ces propos n’est plus important que l’autre. 
Je m’aperçois que je n’entends pas grand-chose à tout ce vocabulaire lointain. Il me creuse toujours, un peu plus chaque jour.
  • 11.7.23

Viens je t’emmène

On regarde juillet fendre nos fenêtres
Sourire large du malaise des gens 
Ici on trébuche sur les dards du soleil
Le trottoir est notre pierre philosophale
Chaude et brune, lisse et d’espérance 
Dans la rue des têtes basses sort un
Viens je t’emmène sucer des glaçons 
Je trébuche là-dessus avec fraicheur
  • 10.7.23

Zinzin et pendule

Volets tirés montent les petits insectes 
Dans les rideaux et sous les yeux 
Là où la fatigue inonde zinzin et pendule
Les pensées comme une brise de voix 
Le sommeil apporte lente et lointaine 
Une petite lueur de la forêt des siestes
  • 8.7.23

Turbulent

Le jardin public est turbulent. Sur les bancs, on évoque les émeutes de la nuit. Une meute de chiens aboyant semble prendre part à la discussion. Un des propriétaires les calme à grands coups de pied dans l’échine. Ça couine puis c’est un jeune homme qui prend le relais avec le son d’un rappeur jaillissant de son enceinte connectée. Les basses font bouger les lèvres de la dame assise sur le banc opposé. Le jeune homme est rejoint par ses amis ; ils se rangent autour de lui et se déhanchent en rythme. 
Le jardin public est turbulent, ce matin. J’écrase le mégot que ma voisine de banc a jeté avant de partir. Je reprends mon livre. Les chiens recommencent à aboyer. Leurs maîtres crient. La femme aux lèvres qui bougent est partie sans que je m’en aperçoive. Elle a fini par se lasser du son syncopé de l’enceinte. Il tombe quelques gouttes de pluie entre le soleil et le jardin. Turbulent.
  • 1.7.23

Mais enfin !

Mais enfin ! Mais enfin ! Les cheveux de la femme au balcon sont tombés. Il ne reste plus qu’une vague touffe frisée en arc de cercle qui lui enserre le cou. La femme au balcon a perdu les cheveux. La femme au balcon a coupé ses cheveux. Une coupe au carré qui a fini en cercle ! La femme au balcon a perdu la raison. Une vulgaire mèche, vestige des temps passés, vestige des temps de la longueur, lui tombe sur les yeux. Elle la relève et l’attache à l’arc de cercle avant qu’elle ne retombe, lasse et molle. Ça m’agace. Ça doit l’agacer. Son visage ressemble désormais à une vieille lune ombrée par je ne sais quel coup de ciseau ennemi ! 
Mais enfin ! Mais enfin ! Que lui est-il passé par la tête ?
  • 30.6.23

Constellation

Un premier soleil tape à la vitre 
Avec lui une nuée de poussières
Tourne comme une constellation 
Sans savoir ce qui en est le centre 
Ni à l’intérieur si vie s’y déroule 
Cris larmes petites amertumes
Joies infimes éclats et félicités
À bord d’êtres minuscules élisant 
Domicile sur chaque poussière 
Et si au balcon d’une d’entre elles
Une voisine fume lentement
  • 27.6.23

À quoi bon

La fenêtre claque, la rue ne bouge pas
Les oiseaux restent à leur ronde 
Imperturbable danse d’ombres
On ne lui offre même pas un cri 
Le courant d’air n’est pas surpris
La fenêtre claque à nouveau, plus fort
Puis renonce, hausse les épaules 
À quoi bon si personne ne la remarque
  • 25.6.23

Patiente tricoteuse

La vie a bien passé la nuit, fait son travail
Patiente tricoteuse d’oublis aux longues épingles
Laissant le jour à son bon compte de mailles 
Que me voilà pelote de laine dans le grand panier  
À m’inventer des douceurs d’hiver qui ne viendront pas
  • 22.6.23

Un orgueil mal placé

La lumière du matin ne vient pas 
Un orgueil mal placé la retient 
Dans son lit sous un nuage épais 
L’infini restera couché sous les draps
À ressasser de fausses vérités 
Comme on compte ses gouttes
  • 21.6.23

Raccord

J’allume le jour avec la lampe du salon. Quelle prétention ! J’allume au moment où le lampadaire meurt sur la pointe du jour aiguisé comme un couteau. 
La lampe prend le relai pour dégager le reste de nuit qui émousse la lame. La rue se teinte. Orange. Elle a l’allure d’un vieille chemise délavée. Les couleurs fanées renaissent, lentement. Ce sera un jour de seconde main, mais un joli jour. 
Sur le balcon de la femme au balcon, pas de femme. Une petite couverture pend et bouge avec les couleurs. Motifs orangés, un peu passés. Raccord avec la rue, ma lampe et mes prétentions.
  • 18.6.23

Action !

Le jour est encore ce long visage 
Qui se découvre avec paresse
Un léger bâillement vite éteint 
Pour étouffer la fatigue du recommencement. 

Un oiseau siffle pour donner le départ 
D’autres suivent pour une nouvelle course
Les murs s’éclairent aussi violemment
Que des projecteurs : silence, action !
  • 17.6.23

La taille du vide

Ce matin est un trou d’air dans un nuage 
Un petit vide de rien du tout
Ça ne hausse le cœur de personne  
Mais quand même 
Mais quand même, dit le matin 
Qui es-tu pour juger de la taille du vide ?
  • 15.6.23

Écoper

Le paysage a du mal à se fixer
J’écope la nuit du trop d’eau
Au bord des lignes tout tremble
De la nuit comme du paysage
Il faut vider transvaser recommencer
  • 14.6.23

Belle flemme

Je laisse le monde tailler sa route
Pas plus intéressé que ce chien
Couché sur le trottoir, truffe à la rue 
À la merci d’un talon haut ou d’une roue 
D’auto, satisfait et plein d’une belle flemme
Un roupillon le nez au vent laissera bien
Le monde comme il faut, au bord du chemin
  • 13.6.23

La robe rouge de juin

Elle a mis sa robe rouge de juin. On dirait vraiment que la robe est pour juin. Pas pour un autre mois, mais pour l’autre. Celui qu’elle attend. Qui ne doit venir qu’en juin. Longue, la jupe. Longue, l’attente de l’autre sur le balcon.
Elle porte sa main à la bouche, ronge ses ongles. Elle porte les doigts nus. Je veux dire qu’elle ne les a pas peints. Elle s’est dit que le rouge de la robe suffisait.
La lumière est là sur le balcon. La lumière attend, aussi.
Elle fume beaucoup pendant l’attente. Une, deux ou trois cigarettes, je ne sais plus. J’en ai perdu le compte. Je me concentre sur le rouge de la robe, sur le rouge de l’attente et les copeaux d’ongles qui tombent.
  • 11.6.23

Un bruit sec et court de porte qui claque

Un bruit sec et court de porte qui claque
Suivi d’un morceau de silence lourd 
Comme tous les morceaux de silence
Après un bruit court et si sec 
Qu’il vous sort du sommeil avec la soif 
La langue aussi lourde que du silence 
Réveil en sursaut puis retour au plein de la nuit 
Rien de grave en somme sinon 
Que la chose revient avec morgue
Tous les jours de toutes les nuits 
Suivie de son ami le silence lourd 
Tous les jours de toutes les nuits 
Un bruit sec et court de porte qui claque
  • 9.6.23

Par les gros tuyaux de l’enfance

Cette nuit par les gros tuyaux de l’enfance 
Me revient la table en Formica rouge 
Qui bat de ses rallonges déployées 
Les tiroirs jouent du trombone à coulisses
Les pieds s’ébrouent comme agacés de mouches 
L’un puis l’autre danse un ballet de claquettes 
Rien à faire de la famille autour empêtrée  
À jongler entre assiettes couverts et verres 
Une nébuleuse d’objets dans un vortex
Que seul mon père en son centre semble maîtriser
  • 6.6.23

Fête des mamans

J’aurai dû préparer une poésie pour maman, cette semaine. Sur du papier Clairefontaine, au stylo à plumes, près de moi un buvard pour boire les taches du temps. Compter les pieds la langue tirée, manger les vers, les recracher, chercher les sentiments dans les sonorités du printemps.
Ou bien lui faire un collier de pâtes, oublier les nouilles, préférer les penne, nouer chaque pensée comme un joli noeud. 
Ou encore un herbier dans un vieux livre aux pages couleur de rouille, des feuilles des fleurs de toutes les teintes, des herbes arrachées, bonnes ou mauvaises, du coquelicot au chiendent, peu importe. 
J’aurai dû préparer une poésie avec tout ça, en remuant longtemps les années, à feu doux. J’aurai dû, parce qu’à quatre-vingt-dix ans, il ne va pas s’en présenter beaucoup d’autres, des fêtes à maman.
Mais voilà, je ne sais pas écrire des poésies d’amour.
  • 4.6.23

Petit-déjeuner

L’air est doux aux oiseaux qui bectent le ciel
Le café passe dans un ronronnement de chat
Le pain de mie conserve une humeur stable 
Le beurre tendre continue d’être tendre
Il doit exister une mélodie au piano qui dit 
La douceur à l’heure du petit-déjeuner
Avant que l’on se mette à tanner les pensées
  • 3.6.23

Vente creuse

J’ai oublié le jour d’avant, un creux un vent 
Le matin a des boutons sur le visage
Acné d’hier et d’avant-hier né de l’oubli 
J’incline, vente creuse, cherche le disparu
  • 31.5.23

Poème décadent

J’ai pendu un poème au plafond 
Un texte décadent qui souffre et colle
Moi qui n’en fais jamais, de poèmes 
Décadents, à dire tant qu’il est chaud
Un vrai papier serpentin tue-mouches 
Avec au bout une petite fièvre rouge
  • 29.5.23

Je marche vite

Je marche vite
comme si j’allais quelque part
Devant moi la lumière cavale 
Un jardin grimpe aux murs 
L’air glisse par les chevilles 
Je marche vite
comme si je voulais les rattraper
  • 28.5.23

Ça me fera la journée

Dans la cuisine à l’heure où le calme amplifie les acouphènes du monde, près  d’un café, je fixe mes pensées sur la moitié d’un abricot. Elle ressemble à une oreille que le noyau a rendu sourde. Un temps, j’ai cru la voir bouger. Un vers, certainement.
  • 27.5.23

Mal dormi

J’ai dormi tout habillé, comme un vieil enfant 
Les dents dans l’oreiller, le coeur dans les pieds 
Reste ce matin une odeur d’ado pas lavé 
Du dernier rêve des épis nerveux dans les cheveux
  • 26.5.23

Épaisse mais fragile

L’heure est épaisse, je l’entends remuer 
Une eau fragile, prête à éclater 
Le temps soudain me semble une flaque 
Un coup de talon et tout peut éclabousser
Puis retomber dans un brouhaha d’écoliers 
Oui, l’heure est épaisse mais fragile
  • 25.5.23

Même temps

les mots me prennent, me laissent
à l’heure où descend la nuit 
et monte mon jeune voisin 

six heures, je me lève
lui se couche
dans le lait caillé du matin 

est-ce encore le même temps
qui nous tient ?
  • 24.5.23

À petits pas

Une lumière à petits pas descend, pure sur le mur 
Lavée des pluies rose des joues, on dirait qu’elle gratte
Pour prévenir du jour comme un petit rongeur craintif  
Avec un air de campagne que je ne lui connaissais pas
  • 23.5.23

Un réveil

encore un peu d’obscurité 
pour terminer l’éternité

un décibel monte trop haut
une porte craque 
un réveil 

le rêve tire sur les bras
le jour gonfle les joues 
retenir ce qui fuit 
l’histoire incroyable de soi
  • 22.5.23

Extraordinaire

… le bassin central du jardin brassa l’eau comme s’il venait de se réveiller, brusquement. Sursaut qu’un homme reprit en enlevant sa casquette, pour mieux se gratter la nuque. Ce geste effectué tout en continuant sa marche autour du bassin surprit le chien couché non loin, la truffe dans l’herbe ; il dût y voir un appel à jouer, la casquette étant la balle, le geste un lancer vers la clairière que formaient trois arbres en conciliabule. Arbres qui frissonnèrent comme si quelque chose venait agacer leurs pieds : une balle, une casquette, la truffe du chien ou les pas de l’homme ? Ce qui fît sortir du bosquet deux merles parmi une flopée de pigeons trop gras pour suivre leur envol. Tout se déroula avec une précision et un enchaînement extraordinaires, sans vraiment savoir quel événement avait participé à créer le suivant. Sursaut, jappement, frémissement, sifflement, envol, battement d’ailes et…
  • 21.5.23

Les pensées tarabiscotées

J’ai jeté un tas de pensées tarabiscotées sur l’écran avec l’espoir qu’elles trouvent 
seules le chemin de la corbeille. En quelque sorte qu’elles s’annulent elles-mêmes au regard de leur fatuité.
Elle n’en ont rien fait.
Elles continuent à parader, tambours trompettes, avec cet air narquois que je leur connais bien. Plus je souhaite qu’elles disparaissent, les annulant sur la page à une allure de poinçonneur, plus elles grandissent, prennent de l’assurance, se gargarisent de leur prétention comme si elles étaient nées du premier rossignol.
Vas-y qu’elles persiflent en serif corps 14, du gras, du souligné, de l’italique, césures et cadratins en veux-tu, en voilà. Ça cabotine. C’est bien simple, on dirait qu’elles forment exprès pour m’embêter une espace insécable entre elles et moi. C’est dégoûtant. J’éteins tout (même si je sais qu’elles continuent sans moi).
  • 19.5.23

10 minutes, à chercher le nom des rues

Je cherche le nom des rues, non pas l’odonyme qui figure au coin de chacune, je ne les retiens de toute façon pas, mais leur sobriquet, celui que je leur donnerai une fois que je l’aurai trouvé. 
Je cherche un nom, peut-être porteraient-elles alors toutes le même, qui saurait dire pourquoi j’erre ainsi en m’efforçant de les prendre par la gauche ou par le haut ou par le bas, là où je me souviens la fois précédente les avoir prises par la droite, le bas ou le haut. Et vice-versa. Pourquoi ce besoin de découvrir, sinon une nouvelle rue, un nouveau sens de marche puisque, il faudrait que je regarde sur une carte pour en être certain, je crois les avoir toutes empruntées au moins une fois, enfin non deux, gauche, droite, haut, bas, donc dans tous les sens. Pourquoi ?
  • 18.5.23

De soi à soi

On insiste sur la douleur
quand vient le soir, trop
pour être crédible 

De soi à soi,
on construit des montagnes
avec la peur de l’abandon 

Au sommet, c’est le vertige
qui accouche d’une souris
On se plaît à monter puis à gratter
Ô petit bonheur des supplices !
  • 18.5.23

Bruit nouveau

À écouter les bruits naissant de la rue, il m’apparaît que les véhicules électriques de livraison font un bruit nouveau. Enfin, pas tout à fait nouveau mais quand même singulier. Comme un chut continu : chuuuuuuuuu sans que jamais le T final n’advienne. Ou alors un hue de cocher à son cheval : huuuuuuuuuu mais un peu plus sifflé. Sans le e qui, bien sûr, est muet. Pour l’obtenir, il faut mettre sa bouche en cul de poule et souffler. Voilà le hue du cocher électrique. Mais il doit y en avoir d’autres, d’autres véhicules électriques, d’autres sons.
  • 17.5.23

Comme un geyser

Tu croises, décroises nerveusement les jambes. Les points d’appui sont précaires, la zone exiguë. La cigarette entre tes doigts pourrait crier. Tu tires dessus en pressant les lèvres si fort que ton visage se déforme. Tu es prise de spasmes, souffles, ventiles, la fumée sort. Comme un geyser. 
Tu croises, décroises l’anxiété et ton corps rumine par saccades. Il faudrait te voir. Tu ne te vois pas, tes pensées sont bien trop imposantes pour un retour sur soi. Tu tiens comme tu peux dans ce réduit qu’est ton petit balcon.Tu pourrais déborder. Refuge et magma, comme un geyser.
  • 16.5.23

Paresseux

Senti le jour paresseux ce matin, une gueule pas finie
Comme si la nuit n’avait pas terminé son Meccano
Sans oiseaux qui piaillent ni cloche qui sonne
Pas plus de chaleur que de voisine à la fenêtre 
Faudra tenir le jour entre les crocs, serrer fort et penser demain
  • 14.5.23

Une lumière d’automne

La lumière s’est posée sur le balcon, avec envie d’y rester 
Une lumière d’automne grise et fatiguée 
J’ai allumé la lampe pour lui tenir compagnie
Elle a ouvert des gros yeux de chien mais pas ses mâchoires
Écarquillée et sans paupières, à tirer des larmes 
Une lumière de pluie mais il ne pleuvait pas
  • 12.5.23

Didascalies

Une porte, le bruit de la poignée, une clé 
Le son étouffé des pas dans l’escalier
Les marches doucement noires et blanches

Depuis mon lit jardin à peine éveillé, je lis 
Et les pas légers du voisin suivent la ligne 
S’arrêtent reprennent, didascalies du jour
  • 11.5.23

Tout va bien

Il y a la table et la lampe pour toute solitude
Un livre attend, la nuit se tasse, les yeux s’ouvrent
Les oiseaux de mai à la fenêtre ont le temps clair
Tout va bien 
J’aimerais juste ajouter une odeur de pluie 
Les parfums y sont plus nombreux, il me semble
  • 9.5.23

Jet-lag

Arrivé au salon, c’est à peine si je me souviens des pas qui m’ont glissé de la chambre sous le livre que je tiens maintenant en lecture dense. 
À tel point que j’ai le sentiment d’être davantage dans l’histoire qui m’est contée que dans le fauteuil qui me porte. J’en prends conscience comme si je venais de naître. Pour un peu, je crierais puis pleurerais. Le jaillissement du réel est parfois cruel.
  • 8.5.23

Variations du noir

Il me plait, en le fixant, d’imaginer les variations du noir
Dans lequel les premières heures plongent les mains
Instant de flottement où l’œil s’accorde avec l’obscurité 
Remet les balances des couleurs à jour, règle et monte le son
Les odeurs aussi ne sont pas en reste, aigre-doux du corps
Sa légère transpiration, son besoin d’eau qui se sentent jusque dans les murs 
(Nous sommes pleins de salpêtre)
Je suis chaque matin épaté par cette machine éprise d’habitudes
Qui sans lumière va avec son cierge de sensations 
Il n’y a qu’à tâtons que je les éprouve autant
  • 5.5.23

De grandes oreilles rouges

Le soir a de grandes oreilles rouges, de larges baies  
Pour laisser passer l’air, un petit goût d’églantines 
Je le précise pour ceux qui ont déjà mangé de l’églantine 
Pour les autres imaginez, les baies et le rouge devraient 
Vous y aider ; je ne peux en dire plus le ciel m’écoute
  • 3.5.23

À mesure que le mur mange les ombres

À mesure que le mur mange les ombres, que la lumière renaît par petits aplats beiges, j’ouvre les yeux. Oh pas que j’en ai envie. Je resterais bien fermé comme un jour férié. Moi et le canapé, un livre et au bout le souper comme seul objectif. Mais voilà le mur mange les ombres, vorace à dents longues, assoiffé de lumière, aussi fier qu’un gars du sud prenant le maquis. Je râle, râle. Beaucoup sous mon corps lourd. À mesure que le jour me réveille.
  • 1.5.23

10 minutes, sur trois bancs

Trois bancs au soleil 
Un homme sourit à son téléphone et parle fort
Deux jeunes filles : 
Une lit, l’autre sourit aussi à son miroir mais se tait
Un couple d’amoureux : 
Lui étendu sur ses genoux à elle
Lui gratte les joues  
Lui fait les points noirs
Le soleil luit, descend puis remonte, sourit, se tait
Presque noir
Trois bancs avant l’orage

  • 29.4.23

Lente observation

Il n’y a qu’une lente observation qui permet de voir ce que dessine le ciel à travers la fenêtre. J’y suis derrière, en poste comme consigné de force. Je prends mon quart pour tenir entier le reste de la journée. Là, avant les bruits, je regarde les éléments qui se présentent. Parfois, rien. 
Mais aujourd’hui, une ombre joue des arabesques sur le mur d’en face. Née du réverbère qui regarde fier le jour avant de s’éteindre et du balancement d’un fil électrique orphelin, elle donne une seconde vie sur le paysage de théâtre que m’offre le mur naissant. Je n’ai plus qu’à l’observer danser. Lentement.
  • 27.4.23

Les choses simples

Là à chercher les choses simples dans le jour finissant
On descend de la pluie par les chéneaux, quelques gouttes 
À peine, le temps de se demander qui est ce « On »
Que s’oublie l’intention, le plus simple se dérobe
Reste le temps sous les toits et aux murs cet écoulement d’entonnoir
  • 25.4.23

Le peu ou le trop

je marche avec une enfance peu sûre
mes pas sur le gravier garde le souvenir
des poursuites sous les préaux

j’avance avec le souvenir du manque
le peu ou le trop 
tout ce qui pour moi pèse
pour les autres n’est que caprice
frustration d’enfant gâté

pour un peu je tape des pieds
je marche pour qui tire le maillot
me poursuive jusque sous les préaux
  • 23.4.23

Elle vient et revient

Elle vient et revient sur le balcon. Craignant le crachin d’avril, avant de s’asseoir, elle regarde le ciel, fait une moue et s’installe. Sur son dos, une couverture en guise de bâche. Elle se recroqueville dans son espace réduit comme on se blottirait au fond d’un puits. Je ne vois que son dos, lignes courbes d’une petite montagne de duvet bleu. Posée sur le balconnet, son territoire à tabac et à téléphone, elle porte la voix jusqu’à l’appareil, fume, respire. Je sais qu’elle respire parce que la montagne bouge, vaguelettes de son cou jusqu’au bas du dos, poussées par le vent quand il crache ou les vibrations de sa voix qu’elle a, en alternance, aussi douce et violente qu’un temps d’avril.
  • 22.4.23

La nuit n’a pas suffi

La nuit n’a pas suffi, je cherche le poème 
À lire qui dirait la fatigue étalée sur la table
Le rai de soleil complexe qui cogne à la vitre 
Je plie les pensées aligne trie croise toise 
Me viennent des verbes sans conjugaison 
Les mots n’ouvrent rien, la nuit n’a pas suffi
  • 19.4.23

Parfois une ombre

Parfois une ombre suggère un souvenir. Ça arrive quand on s’y attend le moins. L’ombre de la branche de cet arbre par exemple danse exactement comme ma mère quand elle entendait Julio Iglesias à la télé, le samedi soir dans les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier. Son micro argenté avec des paillettes qui agaçaient l’iris, sa drôle de façon de tordre la bouche et son coup de nuque vers le haut qui ne suggérait pas le souvenir mais bien un coup de reins. Parfois l’ombre d’une branche sur un mur et c’est maman qui à nouveau se déhanche, discrètement émoustillée par le crooner espagnol. Le tombeur de ces dames est là, dans cet arbre avec toute sa sève. Maman danse. Parfois une ombre.
  • 17.4.23

Je n’ai plus de corps

Je n’ai plus de corps. Je me suis réveillé avec ça, ce matin. Ou plutôt sans ça. Sans le corps ni l’odeur. Mais j’ai gardé ma tête. Montée sur un mât, elle ressemble à ces têtes rétrécies par quelque tribu primitive, sur un mât et plantée dans la terre en haut d’une colline. Le soir descend alors qu’il n’est que sept heures. La colline est brune, un chien aboie ; quelques nuages gris, une odeur de brûlé à la place des émanations naturelles et un vent froid qui ne prend plus mon corps puisque disparu mais me siffle dans les oreilles. Je n’ai plus de corps. Je me suis réveillé avec ça, ce matin. Se recoucher.
  • 15.4.23

Les choses tremblent

Ce matin les choses tremblent sur la table
La tasse de café a peur du livre qui s’ouvre 
Le livre de la main la main du livre je bois 
Quelques mots de la nuit avant de les oublier 
Les choses tremblent ne rien y chercher d’autre
  • 14.4.23

Me prend ces temps-ci

Me prend ces temps-ci 
D’aller par les rues la nuit 
Voir si j’y suis – d’abord 
Puis si j’y peux prendre l’aube de vitesse
Je ne cours pas je marche 
Je ralentis puis j’accélère je la feinte
Un jour je l’aurai 
Ce qui doit me donner une drôle d’allure
À qui de sa fenêtre 
Ces temps-ci dans la nuit 
Voit ce vieux – d’abord 
Tous les jours avant l’aube  
Sur le trottoir s’envoyer promener
  • 11.4.23

La dame au cinéma

Hier après-midi, la dame au cinéma qui se déplace d’un siège puis d’un autre au fur et à mesure qu’une nouvelle personne s’installe au rang précédent juste devant elle parce que, me dit-elle, je ne vois pas l’écran, je suis petite et le monde est peuplé de grandes personnes à grosses têtes ; 
cette dame qui, dans ses déplacements, fait suivre toutes ses affaires du siège d’à-coté au nouveau siège d’à-coté, ses vêtements - manteau, chaussures qu’elle a enlevées et posées entre les bonbons et le magazine des sorties (j’ai les pieds qui gonflent) puis pull qu’elle remettra en se levant en plein milieu du film parce qu’il fait frais dans ce cinéma quand même, c’est encore trop tôt pour mettre la clim à fond, non, vous ne trouvez pas ? – mais aussi une petite collation avec bouteille de coca en plastique qui, une fois qu’elle l’aura bue, fera craquer entre ses doigts au trois-quarts du film, pile au moment où l’intrigue tend le suspense à son maximum, masquant ainsi l’un des dialogues les plus importants ;
cette dame, eh bien, j’en aurai bien fait Mon Crime.
  • 9.4.23

Douleur et bateau

Le jour naissant porte une vieille douleur
Entre deux nuages l’esquisse d’un bateau
Perdu comme je le suis dans un songe
Ou alors est-ce un rêve : douleur et bateau
Je cherche le signifiant, ce que tient mon regard 
Lourd sous les signes opaques du matin
  • 7.4.23

Comme on retrousse une chaussette

Elle est sortie en trombes et à chaudes larmes. Son visage a tourné sur lui-même comme on retrousse une chaussette. Elle a évacué tout ce qu’elle ne pouvait plus tenir dans un si petit corps. Elle a choisi le balcon pour une série de sanglots longs, d’abord retenus puis lâchés à la rue et à ma fenêtre. Ça a duré, respiration et haut-le-cœur se sont enchaînés la secouant mais lui donnant aussi force et élan pour les pleurs suivants. Ça a duré. Elle a fait de la peine à tout le quartier. Ça va ? Elle m’a vu démuni fixer son regard enflé par le chagrin. N’y tenant plus, la honte l’a rentrée chez elle comme par effraction. La femme au balcon a pleuré ce soir, beaucoup.
  • 6.4.23

La rue est à la nuit

La rue est à la nuit, occupé à regarder 
Sur ses bords ce qui dépasse de lumière
Il me semble pénétrer des choses lointaines
Qui n’existent que parce qu’à moi s’opposent
Les unes se retrouvant dans les autres  
Gigognes de l’aussi vieux que merveilleux
Jeu d’ombres et de lumières
La nuit est à la rue, je peux vivre un peu
  • 5.4.23

J’habite un orage

J’habite un orage avec à l’intérieur des bouts de silence. Quand le vent pousse, ils se transforment en bâtons. Ce qui ne se dit pas ne peut déclencher d’orage. Quelques bourrasques et la nuit passe et le jour passe. On est demain. N’y pensons plus. Rangeons les bâtons. Sachons garder nos orages pour plus tard. Pour jamais.
  • 3.4.23

La boucle de nuit

La boucle de nuit, la poésie me sauvera
Bientôt de la mélancolie, déjà elle court entre les pieds
S’agace des petites léthargies bloquées dans les yeux 
Les heures tournent autour de la lampe, la poésie sauve 
Les meubles et donne consistance aux formes, les heures refont
  • 1.4.23

Qui dans la nuit me chausse

La fenêtre suffit à éclairer, les choses et mes pas
Qui dans la nuit se chaussent, seul le réverbère sa clarté 
Tranquille son souffle discret n’aveugle personne 
Dans la nuit me chausse, doucement dans l’attente du jour 
Aux heures pareilles à des ombres, il est ma fenêtre  
Le réverbère suffit à éclairer, les choses et mon monde petit
  • 31.3.23

Le jour n’est pas fini

Le jour n’est pas fini, pourtant je le pousse
Pour m’assoir à sa place, découvrant le repos 
J’imagine un feu de cheminée, le froid sur le nez
Un bon livre caché sous un mauvais, j’organise le cliché
Le jour n’est pas fini, c’est le printemps pas de feu
Pas plus de froid que de cliché à consommer 
J‘écris pour rien, juste pour que les jours continuent de finir
  • 29.3.23

Vénus

C’est faire confiance aux étoiles que de se promener la nuit
Quand on en voit aucune, même pas celle du berger 
C’est faire abstraction de soi, un instant ne pas exister 
Chercher l’œil d’un passant interlope, ne pas lui parler
Mais savoir qu’on pourrait être lui, d’un seul souffle 
Prendre le trottoir comme territoire, les étoiles à la nuit
  • 28.3.23

Que dire de ce mur douché de soleil

Que dire de ce mur douché de soleil
Sinon qu’il réchauffe le ventre
Coule lent en moi

Le gobe par les yeux bouche nez pores
Caméléon je change de couleurs 
Me fonds dans le mur voudrais être le mur 
S’il n’avait pas en lui l’impasse

En lui le soleil qui se retire déjà
En lui les ombres qui montent
Pores yeux bouche nez
La faille la sienne la mienne
qui dans le ventre font siphon sans fin 

Que dire de ce mur douché de soleil
Que dire que je ne sais garder
  • 26.3.23

J’ai balancé de la mémoire sur les murs

J’ai balancé de la mémoire sur les murs 
Comme de la peinture noire matière brute 
Morceaux épars sans queue ni tête  
Pensant que quelque chose reviendrait
Vers moi aggloméré dans une balle 
Contenant passé présent et briques d’avenir  
Oui j’ai pensé en forme de balle une histoire
Avec ses halètements et ses temps morts
Ses joies et ses terrassements
Bien entendu, c’est ce qu’il s’est passé 
J’attends juste qu’elle arrête de rebondir
  • 25.3.23

Pas plus gros qu’une pièce d’un euro

Le jour fuit d’un trou pas plus gros qu’une pièce d’un euro. Je sais qu’il faudrait appeler pour mettre de la résine avant que le plan qui s’affiche en cent quatre-vingts degrés devant moi ne se fissure. Mais je laisse couler, passer la lumière avec la musique. Je me dis que ce serait bien de pouvoir juste le déplacer, le trou, le glisser aux quatre points cardinaux, à ma guise, pour entendre comme ça, tout le jour et du côté de mon choix, couler la lumière et la musique. 

(Ce texte est disponible sur fut-il.net, n’oubliez pas le .NET)
  • 23.3.23

Ainsi les bruits quotidiens

Ainsi le grincement des volets
Ainsi la ventilation des toilettes
Ainsi le claquement du robinet
Ainsi le bavardage de la machine à café 
Ainsi le ronflement du frigidaire 

Les bruits quotidiens sont des éponges 
Ils naissent au matin pour absorber 
La nuit et l’épreuve que c’est d’aligner
Le corps la tête la folie à ses ergots 
Pour raccrocher ce qui fuit à la réalité
Pour qu’en soi le jour soit plus acceptable
  • 22.3.23

Jusqu’aux premières fenêtres

Le ciel noir descend sur les murs jusqu’aux premières fenêtres. Les étages n’existent plus, pris dans un brouillard dont on ne connaît pas le nom. J’ai en secours du regard une petite entrée au rez-de-chaussée qui demeure allumée. Une ampoule nue y brûle jour et nuit, derrière la porte. Elle est une veilleuse dans la nuit noire, point de lumière pour qui ne trouve plus de lampe. Je pense à la soupe que l’on gardait autrefois pour le pauvre hère. On n’a plus qu’un rai de lumière à lui offrir. Je pense à ça, au ciel qui descend et au pain noir trempé dans la soupe.
  • 21.3.23

Avec son allure de témoin

Cet homme avec son allure de témoin, de Jéhovah ou de quelque autre religion 
Que lui-même peine à identifier, je lui laisse la liberté d’esprit 
De croyance à qui il voudra vouer son temps 
À ainsi errer dans la rue, une mallette de représentant
Sous le bras et des tracts et le trac quand il me tend tremblant  
Sa prédication, de bonne foi qui appelle à me sauver
Tant qu’il est encore temps, répète-il en s’éloignant 
Tant qu’il est encore temps, cet homme timide fervent me plait bien
  • 20.3.23

La rue rouillée

La rue rouillée de calme tourne un mauvais film. La caméra balaie du flou, là-bas au fond se débat un personnage que personne ne voie. La rue rouillée tremble. On entend la caméra grincer, un à un bute sur des engrenages grippés. L’image ne démarrera pas. Elle n’est pas sûre, son cadre est trop imprécis, son silence trop plein. Là-bas au fond, j’attends une histoire qui ne viendra pas.



  • 19.3.23

10 minutes, jardin du Champ-de-mars

La ville est belle 
Chaque jour les rues sont plus belles
L’éboueur sur son smartphone
prend une pause
Bien méritée la ville est belle
L’éboueur a rendu la ville belle
Il peut se reposer 
Prendre la pause 
Côté passager du camion-benne
La ville est belle 
La vie belle sur ton smartphone
Calme et benne
Puis accélère puis ralentit
La ville est belle 
Prends la pause
  • 18.3.23

Un long manteau triste

Elle sort avec la nuit d’une porte cochère. Un long manteau triste la couvre jusqu’aux pieds J’avance dans la rue, vers elle sans le vouloir. Elle est au loin une tache sombre qui sort d’un immeuble de roman noir. Je lui mets un chapeau sur la tête, un regard humide, du rouge et une cigarette à la bouche. J’attaque le fantasme par la peau. Parvenu à sa hauteur, son air fatigué et revenu de tout me redescend. Nos chemins se croisent, elle prend la contre-allée et moi son manteau triste.
  • 18.3.23

J’étais d’un sommeil léger mais grave

J’étais d’un sommeil léger mais grave 
Avec un temps après chaque phrase 
Que la nuit m’apportait dans un linge 
Un linge noué à ses quatre extrémités 
J’étais d’un sommeil léger mais grave 
Une respiration pour chaque temps 
Dans un balluchon sur mon dos
Assemblé de quatre linges noués 
Aux quatre extrémités – j’étais un chemin
La nuit d’un sommeil léger mais grave 

(un rêve dissipé)

Image générée par l’IA DALL-E
à partir de ce texte

  • 17.3.23

Une idée pas finie

Me revient au réveil l’idée pas finie, j’entends par idée pas finie un restant de rêve qui a surgi lorsque mon corps s’est déplié pour passer de la position horizontale à la verticale, un restant de rêve qui ne forme pas vraiment une idée mais tout un tas de débuts d’idées comme des copeaux ; voilà, si je travaillais dans le bois, en tant que menuisier, ce serait des résidus de coups de scie, une première découpe qui aurait produit des scories d’une idée prototype, que sais-je, d’un meuble ou plus humblement d’une petite table basse. Mon jaillissement en bois aurait produit des copeaux, une tentative d’idée sans aucun respect de proportions, mes pensées à ce moment-là se resserrant dans ma tête comme si quelqu’un (l’aide-menuisier ?) y passait violemment le balai, rassemblant tant bien que mal les copeaux dans une pelle, avec la poussière et les moutons gris. C’est ça, copeaux, poussières et moutons gris !
Enfin, bref, il m’est revenu cette idée pas finie et, étant donné que j’ai pris beaucoup trop de temps à vous expliquer ce que finalement je comprends à peine, parce qu’il faut toujours que je vous explique tout, surtout quand je ne sais pas grand chose, et bien pfuit l’idée pas finie s’est enfuie.
  • 16.3.23

La lumière du réverbère

La lumière du réverbère qui coule dans la rue me parvient
Par la fenêtre se dédouble dans les vieux carreaux 
Comme prise dans une loupe se déforme 
Grandit jusqu’à éclairer ce qu’il faudrait cacher
J’éteins quelqu’un en moi chaque fois que trop la fixe
  • 15.3.23

Quel sens à ce monde qui tangue

Quel sens à ce monde qui tangue
Jusque dans l’intime pénètre
Dans les esprits sécrète un effet flou
Sommes malades de stroboscopie
Qu’une mise au point ne corrige plus 
Ajuster nuancer ralentir plus rien 
Ne fait la correction plus de discernement 
Ni de savoir-penser plus de langue
Pour équilibrer ce qui vient lancinant
Agacer yeux et sens dessus-dessous 
Défait – quel sens à ce monde qui tangue 

(OK BOOMER)
  • 13.3.23

Le col de la nuit

Je prends la nuit par le col, la soulève. La nuit et sa traînée de bleu autour du cou que lui fait un vieux nuage. 
Je prends la nuit par le col. J’ai le geste. L’empoigne sévère alors que tout est posé autour du moi. Alors qu’à peine écrite cette phrase se dégonfle. À peine né le geste s’évanouit.
Je prends la nuit par le col. À quoi bon. Je lâche, lâche. Le jour montera assez vite au col de la nuit, qui n’aura rien à faire de mes petites violences.
  • 12.3.23

Les sept variations ressortent

Je rouvre un souvenir 
Les variations de ce souvenir
L’image saccade déjà vieillie
Comme si je repassais un film en super 8
Les sept variations ressortent 
On dira que c’est une huitième, d’accord ?

Extrait :
Au plus loin des lignes, l'horizon se confond avec la mer. La limite est sans cesse repoussée à une mémoire perdue. La rupture du ciel est un mensonge et l'absoudre nous plonge dans le creux d'un univers sans frontière. Alors plus rien ne pèse que tes yeux dans mes yeux, que ta main dans ma main, que ce châle infini recouvrant nos tourments. Il n'y a d'autre corps sensible que le nôtre.



  • 11.3.23

J’attends qu’elle bouge

La rue déserte est immobile
J’attends qu’elle bouge 
Que trottoir bitume panneaux feu rouge
Traversent s’animent soulèvent
Les artères comme coeur de bipède irrigue 
La rue déserte est immobile 
Sans corps sans vie je gomme l’inertie 
Si je fixe longtemps je la verrais
Se peupler dans les ciseaux de l’ombre
que forment murs fenêtres toits et moi
Et le réverbère en son halo qui déjà  
Fait onduler la nuit de la rue qui va bouger  
Je garde la vigie derrière le rideau
Vous tiens informés dès qu’elle frémit
  • 11.3.23

Je ne sais rien

Je ne sais rien de la profondeur du ciel 
Ouvrant les volets qui grincent 
Pareil au couinement d’un chien 
Je ne sais rien de ce gros nuage 
Qui cette nuit a fait la pluie ni même 
Si c’est celui-là resté après le fracas
À attendre - et pourquoi ? - que j’ouvre le jour 
Je sais la nuit de pluie et le cri des volets
C’est tout, faudra avec ce peu échafauder
  • 10.3.23

Le jour a commencé sans moi

Le jour a commencé sans moi
Glissant sous la porte une lumière  
De déjà-vu une odeur d’ordinaire  
De petites sensations sans charme 
Vont viennent avec leur éternité  
De gestes rassurant la tête le corps
Vont viennent avec leur entêtement 
Leur odeur et leur lumière craintives 
Le jour a commencé sans moi, tant mieux
  • 9.3.23

Cahin-caha

J’ai vu passer une solitude ce matin
Tôt avec son charriot d’angoisses  
Sur le trottoir cahin-caha trottant
Comme une enfant un premier jour d’école
Le regard tombé sur ses souliers neufs 
Ceux qui brillent un peu trop 
Qu’elle aimerait vite salir patiner 
Pour pouvoir marcher un peu plus droit
  • 8.3.23

Marcher c’est tomber

Il y a le mouvement puis le poids
Marcher, c’est tomber et se rattraper
Dans le mouvement, dans les courbes

La rue avec ses marches
Ses murs glissières guides
Ne pas déborder, tomber, se rattraper.

Le poids que ça fait le corps qui tombe
Les bonds, les rebonds
Il y a le mouvement puis le poids
  • 7.3.23

Turbo(t)s

Je me lève avec le mot Turbo. Il s’est invité dès que j’ai ouvert les yeux avec son air de poisson mort et ses seize soupapes. Le poisson, le moteur. Turbo. Turbot. Des turbo(t)s. 

Je pense aux voitures, évidement, pas au poisson. Aux autos des années quatre-vingt toutes affublées de la mention Turbo à l’arrière avec de grosses lettres métalliques rehaussées de rouge ou de flammes promettant des accélérations du diable. Que ce mot si moderne m’apparaît désuet, ce matin, à peine levé, avec pas grand chose sous le capot !

Turbo injection. Turbo 16. Turbocompressé. Turbo. Turbine. Turbin. Turbo. Boulot. Dodo. Je vais me recoucher.
  • 7.3.23

Autour du Dôme

Elle traîne dans le coin autour du Dôme
Le café-restaurant où l’on sert demis 
De bière à midi et gros rouge le soir
Même si soiffards on peut prendre des deux
Matin midi soir elle traîne dans le coin 
Mais jamais ne rentre pour consommer
Le Dôme est là pour la faire tourner 
Un pas en avant un pas en arrière
Parfois s’arrête s’assoit sur le trottoir 
Par cœur déclame des poèmes d’amour 
Au Dôme aux hommes à qui voudra 
Entre demis et coups de rouge les recevoir
  • 6.3.23

Pas de bruit

Il ne fait pas de bruit 
Le petit monsieur 
À l’entrée du cinéma  
Pour la première séance 
Du dimanche matin
Ses petits pas 
Son air blasé 
Ses cheveux blancs longs 
Réunis dans un catogan
Le petit monsieur et moi
dans le hall du cinéma
Avec son mur jaune
Où s’affichent  
Le titre la salle et l’heure du film
Ce que l’on sait déjà 
Mais on les fixe tous les deux
Pour se rassurer
Pour pas rater
Le petit monsieur et moi
On ne fait pas de bruit
Dans le hall du cinéma 
Nos petits pas 
Notre air blasé 
Nos cheveux blancs 
Me reste plus 
Qu’à laisser pousser
  • 5.3.23

À l’affût des symétries

Je marche à l’affût des symétries. La lumière et l’ombre toujours partagent. Un équilibre, une obsession des proportions jusqu’au bout de la fatigue. Mes pensées se plissent sous les persiennes que forment les toits dans leur chevauchement. Si j’allonge la vue, la rue me tend des arêtes électriques. Donne un fond à mes contrastes. L’attente fait son manège jusqu’à l’épuisement des solitudes. J’attends. Que de l’ombre une lumière change le réel.




  • 5.3.23

Samedi en vrac

Samedi en vrac 
La fenêtre tient sa place 
La permanence des choses 
Comme une télévision
Bloquée sur un même programme 
Seule la colorimétrie bouge

Samedi en vrac 
À côté de la fenêtre la télévision
La vraie avec son écran
Envahi de livres lus et à lire 
Éteinte depuis des mois 
Elle disparaît peu à peu 
Dans la progression des piles

Samedi en vrac 
J’écris dans un journal extime 
Ce mot Extime était à la mode
Dans les années deux mille 
Aujourd’hui l’impression
Qu’il est oublié commun ou désuet 
Remplacé par des filtres TikTok 
Ou des IA génératrices de fantasmes

Samedi en vrac
Je pense à la mire de nuit 
De ma télé d’enfant 
Comme je la fixais longtemps
Espérant qu’elle bouge 

Samedi en vrac  
Le noir de la fenêtre varie 
Il devient gris bientôt grège 
Le dehors filtre le dedans 
Intelligence naturelle
En attendant le jour 
Je vais scroller vos fenêtres 
Sur Instagram ou TikTok




  • 4.3.23

Je cherche un lieu

Je cherche un lieu où poser mon corps
Une embrasure dans un ciel porteur  
Un endroit sûr sous une lumière solide 
J’y mettrai ma couche de paille 
Entrains paresses et lendemains
Quelques amuse-bouches puis du vin
Pour les jours où le ciel porte bas 
Loin de toute géographie connue 
Je cherche un lieu qui ne tremble pas
  • 3.3.23

Pas un mot à la fatigue

Il ne faudrait pas laisser un mot à la fatigue
Dans ce courant d’air dans lequel se tient la vie 
Elle n’est qu’un éternuement – un atermoiement
Les mots sonnent dans le même temps, fugaces et répétés 
Comme des adverbes, à vos souhaits et après que vogue le verbe
  • 2.3.23

MASH-UP MORNING

Jeudi 10 décembre 2015

La nuit a tellement serré
Les dents qu’elle a mal
À la mâchoire et au cou
Du matin d’où elle pend
Nue

Le silence greffé à la glotte
De la rue ocre des lumières
Du réverbère file un doute
Dans les bajoues du jour
Etendu

*

Vendredi 11 décembre 2015

Le camion de la voirie
Cache la voix du dedans
D’un souffle long et laisse
La rue au silence trancher
Mon absence

Son gyro crée à la vitre
Sale un miroir d’éclairs
Gelé d’une nuit de cierge
Où la mort a tapé au lieu
Du rêve

_
Extraits de « Morning à la fenêtre » paru aux éditions Tarmac

.
  • 2.3.23