Vieilles habitudes

De vieilles habitudes rôdent dans le couloir. Elles battent dans le corps, accrochent l’attention quand on voudrait se distraire de la vie.
Pareilles à de vieilles chaussures rongées par l’humidité qui, depuis longtemps, ne nous aident plus à marcher. Mais qu’on chausse pour se rassurer.
Toujours dans ce couloir de fausses lumières à contrer quelque peur tenace.
  • 30.1.20

Têtes-brumes

La ville est cernée par un ciel bas.
Nos têtes-brumes forment un ruisseau
— je le vois du haut de l’étage de cet immeuble
qui en serait le moulin —
Il serpente, vire et tourne à la recherche de son estuaire.
Aveugle de sa source,
il mourra de la houle qui nous chavire tous.
  • 27.1.20

Il y a toujours ce cercle de rouille

Il y a toujours ce cercle de rouille sur la toile cirée, trace du vieux vase en étain qui trônait constamment sur la table de la cuisine.
Il y a toujours ce cercle de rouille parce que l’eau du vase débordait toujours légèrement, coulait le long, tombait sur la toile cirée, entourait le vase.
Il y a toujours ce cercle de rouille.
Même si on ne veut plus de la mauvaise odeur de l’eau des fleurs, la mémoire s’enroule. Le vase s’est éteint, table et toile sont remisées mais la rouille demeure.
  • 24.1.20

Ce qui nous brûle au fond

On entend des sirènes par-dessus les toits.
Nos regards tremblent un peu par la fenêtre.
La brume du matin ne s’est pas levée.
Il est dix-sept heures, les sirènes passent.
Il faudrait ouvrir l’horizon avec un ciseau pour apercevoir
ce qui nous brûle au fond.
  • 21.1.20

Tu n’es plus qu’une ombre

16 janvier
St Marcel

Tu n’es plus qu’une ombre. Une tache noire sur le sol, à l’abri du figuier. Ta silhouette se découpe et flotte dans le soleil. Ectoplasme aux doux contours, tu épouses la terre. Ton corps déformé par la lumière se joint à l’ombre de l’arbre perchée sur tes épaules. Tu es trapu et court sur pattes mais là au sol, rampant sous mes yeux, tu es une forme obscure et oblongue qui s’allonge sur l’ocre comme une coulée de peinture noire pénétrant la terre.
Je te regarde longtemps, toi, l’ombre de mes jeunes années. Le figuier en totem et la bouche gorgée du vieux fruit aigre-doux, je te goûte au plus près, à ressentir sous mes papilles l’enfance perdue. Tu flottes évanescent sur mon paysage. Au passage d’un nuage, tu te divises en deux flaques molles pour revenir entier te caler sur l’arbre, une joue collée à la sève. Je te vois près de ton figuier t’endormir. Et le soleil de descendre derrière la colline en coulant une flambée rouge sur le jardin, et toi, feu mon père, tu apparais rouge sang, ombre de moi, puis disparais comme si le souvenir voulait se coucher.
Tu n’es plus qu’une ombre. Tu seras là tant que le soleil et le figuier.

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Extrait de "Rats taupiers" paru en 2016 aux éditions des vanneaux.


  • 16.1.20

On ne s'attend à rien

La plupart du temps,
on ne s’attend à rien
quand on ouvre
les volets sur le jour.

Un ciel pareil à celui d’hier,
d’une constance incroyable,
nous regarde de haut
de ses couleurs souveraines.

On ne s’attend à rien
et pourtant toujours
cette surprise d’être ici
les yeux de l’ombre.
  • 15.1.20

Il fait un jour à cueillir des ronces

Il fait un jour à cueillir des ronces.
Juste pour le plaisir de l’égratignure. La peau éraflée pour à nouveau se sentir vivre. On pourrait couper à travers bois, piétiner fourrés et bauges avec la crainte d’un sanglier tapi sous les hautes herbes. On serait heureux de sentir nos corps réagir à l’approche d’une clairière. Nos mains en sang mais nos cœurs feux de joie.
Il fait un jour à cueillir des ronces.
  • 11.1.20

Traverser la rue

Traverser la rue alors que le feu piétons est rouge.
Sentir le vent d’une auto furibonde.
Continuer à marcher sans rien voir de la ville,
de sa fureur, de son battement de fer et de pierre.
Chercher l’humeur du jour
dans un vieille rumeur de terre.
Le ciel me regarde balancer
d’un pied sur l’autre, bipède sans envergure
qui regarde ses jambes battre le trottoir.
Le feu est passé au vert
sans moi.
  • 9.1.20

C’est peut-être la nuit que tout s’invente

C’est peut-être la nuit que tout s’invente. Cette route que l’on va emprunter le jour venu, ces mots que l’on va lancer à l’être aimé dès le lever ou bien encore ces silences lestés à nos glottes que l’on aura lentement dessinés dans l’obscurité d’un rêve.
La nuit, c’est peut-être là, dans ce creux inconnu, que tout se décide. Sans aucun libre arbitre, notre existence se construit. Notre conscience au repos fabrique sans nous ce qui deviendra nos habitudes, nos sourires feints, nos joies et nos peurs, nos douleurs exagérées, nos chagrins trop propres et notre intime et universelle solitude.
  • 5.1.20