Éclat

Un éclat de lumière
ferme la vue de la fenêtre.
Tes yeux se mettent à courir 
dans la chambre, à chercher
une ombre où apaiser le regard. 

Tu brûles du dedans, 
ta peau reste aux abois,
frissons et nouvelle rosée
sur l’écorce de nos mémoires. 

L’éclat d’un souvenir
entrouvre nos draps défaits :
tu parles un peu de la lumière
et de ton feu une joie neuve
s’empare de notre arbre.

2019
  • 13.9.25

Sur la digue

On a voulu tremper la lune
dans le ciel le plus sombre,

asseoir la nuit sur la digue
comme au bord d’un café noir,

décocher un sourire pour voir
si l’espoir ricochait dans l’eau,

puis on est parti sans rien dire,
une mélancolie sucrée sur les lèvres.

2017
  • 10.8.25

Manège

Le manège tourne.

Un camion de pompiers,
un oiseau à hélice,
une voiture de police,
une odeur de poussière,
un pompon à franges.

Un œil suit le mouvement.

Une pomme d'amour
un rouge aux joues,
un peu de sucre,
un sourire perdu,
un rien de vent.

La tête tourne.

Est-ce une fuite
de chevaucher l'enfance ?

2017
  • 5.7.25

Mémoire des rives

Il passe son temps à nettoyer les bords de l’eau. Cette eau vive, après les pluies, charrie toutes sortes d’immondices, de branches, de boue mêlée aux herbes — une mélasse qui s’agglutine et fait barrage.
Il faut, dit-il, créer le passage à grands coups de pelle, élaguer les arbres pour éviter que ne s’ajoutent des branches aux branches venues d’ailleurs, de la mélasse à la mélasse des montagnes.
Son front porte haut dans ces moments-là. Il est le sauveur des eaux avant qu’en été, elles ne se taisent. Que le ruisseau s’éteigne. Que l’eau ne coure plus, qu’elle laisse place à une terre sèche parcheminée de crevasses. Certains lui disent que son travail ne sert à rien, qu’il faut laisser faire la nature. Que l’eau passe et se calme. Mais rien n’y fait. Il passe son temps à nettoyer les ravines.
Il sait ce que retient la mémoire des rives.

2021
  • 29.6.25

Le civet

Le soir tombe dans la cuisine,
un civet de lapin frémit sur le feu.

Une odeur de chasse se dégage 
de la grande casserole qui boite. 

Le couvercle se lève puis retombe
comme une cymbale malade. 

A moitié vide, la bouteille de rouge
garde le bouchon heureux.

On entend nos voix se blesser 
contre l’écran du téléviseur.

2020
  • 28.6.25

Le confiturier

Je me souviens des notes que tu laissais sur le petit meuble dans le couloir. Juste à côté du téléphone à cadran et au fil torsadé, quelques mots sur des post-it bleus qui ne se détachaient jamais de leur bloc. Un nom, un numéro, une fleur ou un gribouillis déposés là lorsque ton interlocuteur parlait trop, ne voulait plus raccrocher, se perdait en bavardages inutiles.
Je me souviens de ce meuble aux grosses joues. Tu l’appelais le confiturier, le petit confiturier en bois brun. Aucune confiture à l’intérieur, mais des blocs et des blocs de papiers bleus, neufs ou déjà griffonnés : des noms avec des numéros, des fleurs ou des gribouillis d’impatience.
Je me souviens de ce confiturier, lorsqu’il a fallu le déménager. Je l’ai vidé de tout ce papier bleu qui sentait la poussière. Quelques blocs se sont défaits. Alors, j’ai trié : les fleurs d’un côté, les gribouillis de l’autre ; les correspondants que tu aimais, et ceux qui t’agaçaient.
Je me souviens du tout petit bouquet de fleurs.

2020
  • 27.6.25

Vairon

Dans la rivière de l’enfance, près des rochers
glissants où les truites font leur ronde,

là où va l’obscure vase, aujourd’hui encore les mots
sont courts pour dire les écorchures au genou,

le bout des doigts flétri, l’odeur de serpillère sale
remontant des racines de l’arbre,

nos cris dans la vallée quand s’agitent les ombres
et cette eau vairon qui toujours frétille dans les yeux.

2020
  • 14.6.25

J’aime le jardin de mon père

J’aime le jardin de mon père, avec ses grillages troués, ses allées mal dessinées où la terre se fait la belle dès les premières pluies tombées.  

J’aime le jardin de mon père, ses allées de tomates tordues, ses ravines où l’eau coule mal, résiste à des poignées d’herbes dressées là comme des barrages. 

J’aime le jardin de mon père, ce petit foutoir aux arrosoirs percés, aux seaux en plastique brûlés, aux vieux outils de fil de fer ou de chiffons rafistolés.

J’aime le jardin de mon père car il reste dans ma mémoire le lieu qui ne ressemble en rien à l’éducation stricte et ordonnée qu’il a tant voulu me donner.

2020
  • 6.6.25

À la soupe

J’entends les enfants
chahuter depuis la fenêtre.

Leurs voix dans la rue gelée
forment des ronds de fumée.

Quelque souvenir s’y cogne
comme les années sur mon visage.

Une ride de plus quand la mère
crie à la soupe à leur oreilles rougies.
  • 28.1.25

Cercle de rouille

Il y a toujours ce cercle de rouille sur la toile cirée, trace du vieux vase en étain qui trônait constamment sur la table de la cuisine. 

Il y a toujours ce cercle de rouille parce que l’eau du vase débordait légèrement, coulait le long, tombait sur la toile cirée, encerclait le vase. 

Il y a toujours ce cercle de rouille. Même si on ne veut plus de la mauvaise odeur de l’eau des fleurs, la mémoire s’enroule. Le vase s’est éteint, table et toile sont remisées mais la rouille demeure.
  • 24.1.25

La gelée de coing

Tu cherches le trou du souvenir où te glisser. Pas la Madeleine mais l’intérieur de la madeleine. Une cocon moelleux dans le milieu. Voilà, fais ton trou, va chercher dans le dedans du dedans, dans le gras du dedans. 
Tu ouvres un pot de gelée de coing. C’est par ici le trou, c’est par ici le souvenir !
La cuillère pénètre dans la gelée mais pas facilement, ça résiste. C’est bien connu, le coing résiste, le coing n’est pas un fruit facile, c’est mieux quand ça résiste. Et le coing n’est pas un joli fruit, il n’a pas l’élégance d’une fraise née pour glisser entre les lèvres. Il est fait de coups, n’a pas de forme, est tout biscornu, malingre. C’est mieux quand ce n’est pas tout à fait joli, ça ramène son lot de cabosses tendres.
C’est parfait, reste dans le coing, plante la cuillère dans la gelée. Fais-y ton trou pour retrouver le souvenir doux.
  • 15.11.23

Comme un bonhomme

Je retiens l’instant, ce qui me traverse et veut sortir des yeux. Je retiens parce que je suis un bonhomme ! Mon père disait ça quand les émotions l’étreignaient : je suis un bonhomme, on est des bonhommes et se tournant vers moi, il cherchait l’acquiescement. 
Je retiens l’émotion comme on enlève sa main du feu. Par réflexe. Je ne pense pas à mon bonhomme de père, je me retiens. 
Ce n’est pas la peine d’étaler ses misères. Il disait ça aussi : n’étale pas tes misères, ça n’intéresse personne ! Ce n’est que de l’orgueil tout ça, une petite blessure qui guérira toute seule. Et aujourd’hui me tournant vers la fenêtre, le regard porté loin vers le manque, je me cherche une poussière dans l’œil pour sécher discrètement mes larmes. Comme un bonhomme.
  • 4.8.23

Par les gros tuyaux de l’enfance

Cette nuit par les gros tuyaux de l’enfance 
Me revient la table en Formica rouge 
Qui bat de ses rallonges déployées 
Les tiroirs jouent du trombone à coulisses
Les pieds s’ébrouent comme agacés de mouches 
L’un puis l’autre danse un ballet de claquettes 
Rien à faire de la famille autour empêtrée  
À jongler entre assiettes couverts et verres 
Une nébuleuse d’objets dans un vortex
Que seul mon père en son centre semble maîtriser
  • 6.6.23

L’art d’être à côté

Aujourd’hui, il a neigé à Montpellier. Ça n’a échappé à personne, à part peut-être à toi qui cultives l’art d’être à côté. À côté des choses comme de la société. D’ailleurs, en ce moment, tu es à côté d’un poêle à bois, tu remues un tas de vieilles cendres à la recherche de la flammèche qui fera revivre l’hiver douillet de mon enfance. Tu chiques un morceau de tabac. Quand je dis que tu es à côté, plus personne ne fait ça. Tu risques d’être colonisé par des aphtes   et à la moindre occasion, un crabe peut venir crécher dans ta mâchoire. Mais tu t’en moques. Tu le fais depuis toujours. Alors pourquoi arrêter. Laisse tomber la neige, c’est ce que tu me dis de là où tu es, à côté des choses, de la société, au tison tout près de moi.
  • 27.2.23

Au bistrot de Jeannot

Je suis au bistrot de Jeannot
Y a le Marcel puis le Robert 
Arrimés au comptoir comme  
Deux esquifs au port
Un jour de tempête 
Y a des coupelles de cahouètes
qui trempent dans l’eau croupie  
Des cendriers jaunes en triangle 
Avec Ricard inscrit autour
De la fumée jusque dans les oreilles 
Michel Sardou dans le juke-box
Et Marcel et Robert, ces baltringues
Qui tanguent sur les tabourets
Avec leurs taches rouges dans les yeux
Leurs haleines d’alligators 
Leurs cancers pliés entre les dents 
Y a aussi des olives noires toutes fripées
Et des salades plein leurs bouches 
À Marcel à Robert, à toi à moi
À qui dira la plus grosse connerie 
Je dénoyaute des souvenirs 
Peinard en butant le flipper 
Celui à afficheurs à rouleaux
Avec le chanteur de Kiss au milieu
Qui tire sa longue langue 
Je suis là, décontracté du gland 
Quand ça me fait tilt dans la tête :
Tant que je suis au bistrot de Jeannot 
À claquer les extra-balles du souvenir
Le Marcel le Robert sont pas vraiment morts
  • 17.2.23

Tu as des misères

Tu as des misères à te faire pardonner, disait ma mère 
Quand je rentrais tard le samedi soir, dimanche tôt
Vers six sept heures les misères pour elle étaient des erreurs 
Petite nuit dans le couloir, au bout sa chambre 
Avec la lumière sous la porte, mon haleine sur les murs
Ma barbe clairsemée de tabac et d’alcool, j’avais des misères oui
Quelques fleurs dans la tête, m’a-t-elle pardonné ?
  • 12.2.23

La fosse aux loups

Ne sais pourquoi, cette nuit m’est revenue la fosse aux loups
Mon père la nommait ainsi, au bord d’un chemin assis
Sur un muret en face du grand trou, il me faisait peur 
Criait aux loups de la fosse avec un rire moqueur qui tirait
Les rides de ses yeux vers le haut et en bas profond 
Les bêtes noires tout droit sorties d’une légende ancestrale  
Ourdissaient de sombres desseins à mon encontre ; frousse que j’ai eue
Cette nuit où sont revenus, non pas les loups mais les yeux de mon père
  • 7.2.23

Gabatch

La table souffre de tant de poids. 

Tu œuvres dans la souillarde, à dégager le fatras amassé là par le temps. 

Chaque chose est pour moi un objet de découverte. Sur la table se posent ta voix, ta colère et ta vie de gabatch. 

Grand-mère au corps diaphane, à la peau élastique, au cœur de tombe. 

Tu ranges des siècles par pile. Des casseroles sans queue, des marmites cabossées, des poêles de rouille. 

Tu souffres de tant de poids.
  • 29.1.23

La campagne me manque

La campagne me manque, son silence et ses nuits noires
Avec juste un bout de lune blanche et le cri des bêtes  
La terre humide me manque, l’odeur de fumier dans les champs
De javel sur le pas d’une porte avec une femme en blouse 
Tout affairée à décrotter la boue laissée par les godillots du mari
Lui boîte dans l’escalier et se plaint du mal de dos
Les gens simples me manquent, leurs figures griffées
Leurs gestes qui s’ouvrent comme un livre, à sans cesse réécrire  
Les habitudes en première de couverture ; ce soir j’ai froid
La campagne me manque, mes parents me manquent
  • 11.1.23