La découverte

14.1.10

image [ L’armoire métallique ] Après m’être saisi de la clé, je rangeais les ciseaux rouillés dans leur écrin de fortune en prenant soin de les reposer à la même place. Je repoussais le vieux tiroir en bois vermoulu. La poignée de fer blanc me restait une fois sur deux dans les mains. Je la refixais avec soin dans son encoche écaillée en m’assurant de sa bonne tenue. La petite clé, sésame aux dentures rouillées, tournait alors dans ma main deux ou trois fois. Expression de ma peur et de mon hésitation. Puis dans une prise de décision soudaine, elle s’enfilait dans la serrure pour enfin me faire franchir le pas de l’acte interdit.

La porte-miroir s’ouvrait sur les discrets de papa dans un crissement métallique aigu. Un regard dans le couloir pour m’assurer que personne ne bouge  et je me trouvais désormais face à mon méfait. A l’intérieur, tout était parfaitement rangé. Trois étagères en fer froid. Sur la plus haute, deux petits cartons semblaient être découpés pour tenir sur la hauteur de leur emplacement. Aucune inscription. J’avais déjà fouillé ces boîtes mais je n’avais trouvé que quelques graines d’une semence jardinière inconnue. Sur celle du milieu, une cartouche de gauloises brunes déjà ouverte partageait la place avec quelques minuscules fioles contenant un liquide verdâtre. Mon premier cérémonial lors de l’ouverture prohibée consistait à dévisser le bouchon d’une d’entre elles pour humer son parfum. Cette fragrance d’anis fortement alcoolisée que dégageait l’absinthe me donnait pourtant chaque fois des hauts le cœur.

Mes yeux balayaient de bas en haut et de haut en bas, à la recherche de la nouveauté. Nouveauté qui pourrait m’éclairer sur le mystère. Savoir et comprendre pourquoi papa s’évertuait à tenir ce placard constamment fermé, à l’abri du regard de sa propre famille. Mais rien. La dernière étagère contenait deux vulgaires briquets usagés, une boîte de cigare de la Havane et deux bouteilles en verre à bouchons mécaniques. Comme toujours, j’étais frustré. Tant de prises de risques inutiles, d’angoisses et de craintes de représailles pour finalement aucune trouvaille. Je décidai cette fois-ci de poursuivre mes investigations et m’attelai à sortir tout ce fourbi pour vérifier chaque recoin.

Une fois mise à nue, la petite armoire était plus légère, si bien que je pouvais aisément la descendre de son buffet porteur. A peine saisie, elle ripa contre le bahut, m’échappa des mains et choqua fortement le sol en béton de la cave. Un bruit métallique en écho court mais puissant creva la nuit. J’étais transi de peur. Mon palpitant s’emballa troublé par le sang qui affluait en jets puissants de tout mon corps. Ma tête bourdonnait et il me semblait que le vacarme produit résonnait encore dans tout le quartier. Quelques secondes, le souffle coupé, je restai à l’écoute de la réaction. Puis, le silence. Moi et l’armoire au sol.

Dans son cœur éventré où gisait l’amoncellement des étagères démontées, je vis dépasser le bout d’une enveloppe verte. Je tenais ma découverte. Celle qui, peut-être, expliquait tout. Je tirai et extirpai le Graal d’un double fond malicieux. En guise d’adresse postale et en caractères soignés, était calligraphiée à la plume une mention évocatrice : « Pour toi, mon Marcel. »

A suivre.

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