Les fils électriques

Midi et j’ai les yeux suspendus aux fils électriques qui passent devant les fenêtres de l’immeuble voisin.

C’est beau, les fils électriques, le charme de la désuétude. Ils tiennent à la rue comme à ma petite mélancolie, de par leur lent balancement entre une brise sans importance et le cataclysme chimique qui occupe mon esprit.

Si un quidam passait, il dirait de ma tête qu’elle est ailleurs ; oui ailleurs, à cheval sur un déséquilibre, en porte-à-faux pour dire vrai.
  • 31.1.25

Puits sans fin

Le rêve est un puits par lequel je remonte lentement. Je suis par-dessus la vie. Omniscient du rien qui fait plein. Un pigeon piétine sur un toit dans un affolement d’ailes et tout un monde s’agite. Dans le ciel, une lucarne s’ouvre par un fondu au noir de cinéma et offre une intensité à partager. Puis tout s’emballe, de bric et de broc : le pigeon ouvre la lucarne, le ciel bat des ailes, le puits m’appelle sans fin. Rien ne tient la route. Pourtant la route est là, sous mes pieds, tangible, dense et aérienne pour autant d’espaces sans pareil.
  • 29.1.25

À la soupe

J’entends les enfants
chahuter depuis la fenêtre.

Leurs voix dans la rue gelée
forment des ronds de fumée.

Quelque souvenir s’y cogne
comme les années sur mon visage.

Une ride de plus quand la mère
crie à la soupe à leur oreilles rougies.
  • 28.1.25

Matin

Le jour n’a pas fini de frotter sa figure
et le trottoir a des fourmis dans le pavé. 

Lentement le quartier s’éveille. 
Une fenêtre s’ouvre puis une autre 
comme les doigts d’un poing serré. 

Il reste un morceau de lune coincé 
dans ma bouche et la nuit me parle encore.
  • 26.1.25

Cercle de rouille

Il y a toujours ce cercle de rouille sur la toile cirée, trace du vieux vase en étain qui trônait constamment sur la table de la cuisine. 

Il y a toujours ce cercle de rouille parce que l’eau du vase débordait légèrement, coulait le long, tombait sur la toile cirée, encerclait le vase. 

Il y a toujours ce cercle de rouille. Même si on ne veut plus de la mauvaise odeur de l’eau des fleurs, la mémoire s’enroule. Le vase s’est éteint, table et toile sont remisées mais la rouille demeure.
  • 24.1.25

Les sirènes

On entend des sirènes par-dessus les toits,
nos regards tremblent par la fenêtre.

La brume du matin ne s’est pas levée,
il est dix-sept heures les sirènes passent.

Il faudrait ouvrir l’horizon avec un ciseau
pour apercevoir ce qui nous brûle au fond.
  • 21.1.25

C’est toi le fou

J’entends les choses murmurer,
conciliabule dans ma bulle. 

Les choses ne sont que des choses
à quoi parler sans crainte de réponses. 

La folie se tient peut-être ici,
dans cette paire de lunettes

posées sur la fin d’un livre ou
dans ce triste crayon de bois

qui semble me pointer du doigt
et penser : cher ami, c’est toi le fou.
  • 18.1.25

Ésotérique

À la table où je lis, la lampe
dans sa constance fait du livre
et de l’ombre des complices. 

Permanence soudain troublée
par un clignotement semblant 
craindre le pas des vers suivants :

« Une lampe déserte,
le paisible vestibule,
Et une ombre en éveil
Où se dresse le catafalque. »

Vers d’un Pessoa ésotérique
revenu d’entre les morts 
pour griller mon ampoule.
  • 12.1.25

Tableau inachevé

Chaque soir joue la même partition,
rapides notes blanches sur noires. 

L’ombre gagne en virtuosité
avec son air de tableau inachevé,

de traîne-misère en queue de pie 
comme si elle ne savait pas le retour 

du beau jour propre sur lui 
plein de notes bleues que l’on oublie.
  • 11.1.25