Jour 11-12-13 – Hägendorf, Fribourg, La Bridoire, Chirens, Valence,Condrieu #TFV #LesVisages

8.8.15

Je laisse Hägendorf et/ou Teufelsschlucht (je ne sais plus exactement où je suis) derrière moi d’autant qu’on me signale sur Facebook par deux fois que cet endroit est surnommé la gorge du diable. Je me racle la mienne – de gorge – pour nettoyer les scories de tabac que je m’injecte à forte dose, trop souvent. Un coup de coca suisse pour déglutir puis je renfile la route vers la France.
Je vois défiler des panneaux de villes aussi inconnues les unes que les autres au point que je me dis que quelqu’un joue à me faire des blagues, une sorte de jeu à base d’anagrammes bizarres sans jamais que je ne parvienne à trouver la solution. Jusqu’au moment où je vois des noms plus connus : Fribourg et Neuchatel notamment. Fribourg et Neuchatel mais c’est bien dans ce coin que vit Anna Jouy ! A la faveur d’une erreur de parcours (voir billet précédent), je me dis que ce serait très agréable de lui faire la surprise en lui rendant visite. Je m’arrête à l’aire suivante et lui envoie un tweet pour la prévenir. Elle me renvoie son adresse et me voilà parti vers Avry sur Matran près de Fribourg.
Une demi-heure plus tard, Anna m’accueille dans sa maison cossue héritée de son père. Nous nous embrassons tout en découvrant nos visages. Elle est ravie de cette visite impromptue et moi aussi. Le temps m’est compté une fois de plus et je n’ai que quelques poignées de minutes à lui accorder afin ne pas arriver trop en retard ce soir à La Bridoire, près de Chambéry. Elle comprend et la discussion s’amorce sans gêne ni méfiance d’aucune sorte. Nous parlons de sa poésie, de son site, de son vide actuel en écriture. Elle range, me dit-elle, remet en forme des anciens textes, les corrige, les annote pour préparer un ensemble qui bientôt fera recueil. Je l’encourage dans ce sens à dépasser son site « les mots sous l’aube », d’ouvrir son écriture à l’extérieur, d’aller vivre et toucher les gens et les visages comme je viens de le faire pendant dix jours. Cette ouverture lui semble difficile et je lui rappelle combien la démarche m’a coûté, comment moi aussi il aura fallu me faire violence pour me lancer dans un tel pari.
Elle me sert un café, puis deux et une assiette repas bien venue et nous nous quittons tous deux dans la frustration de cette trop rapide entrevue mais heureux d’avoir croisé nos visages.
Merci Ana

Je poursuis ma route sur les petites routes suisses puis l’autoroute vers Lausanne, Genève et retour en France.
J’arrive à la Bridoire vers vingt-et-une heures. Jean-François et son épouse me reçoivent dans leur charmante maison adossée à la colline. On y vient à pied, les gens qui vivent là etc… Je pense à la paix qui règne dans ces lieux tandis que mes hôtes se plaignent du bruit de la route en contrebas. Nous prenons l’apéritif puis Jean-François sert les diots (petites saucisses, spécialités de la région) accompagnés de pommes de terre en lamelles fines. Nous évoquons leurs enfants et tout particulièrement le globe-trotter de la famille parti aux quatre coins du monde et aujourd’hui installé à Shanghaï. Sous la tonnelle, la soirée est douce et les branches d’arbres qui s’entrecroisent sur nos têtes donnent de la fraîcheur et de l’allant à nos discussions diverses.
Nous allons nous coucher vers minuit après avoir gravi les étages et demi-étages de cette maison biscornue et typique d’un temps où les constructions épousaient les contours de la terre comme pour l’habiller.
Je me lève tôt le lendemain 7/08 et après un café, je fausse compagnie à mes hôtes pour errer dans le village. Je croise des chemins en pente, des usines d’un autre temps, des maisons abandonnées, des cabines téléphoniques préhistoriques, des maisons de maitre à l’architecture clinquante : marque d’un temps où les Lyonnais aisés venaient en villégiature dans la région. Je chemine au hasard me laissant guider par l’instinct et je mitraille le petit bourg de photos à instagrammer plus tard lorsque le réseau aura réaffiché ses barres sur mon téléphone.
Jean-François m’amène un peu plus tard faire un peu de tourisme : point de vue magnifique au-dessus des montagnes, visite de la fromagerie et achat de tomes de Savoie, de Dents du chat et du Beaufort pour revenir beau et fort (hum) puis passage près du lac d’Aiguebelle pour prendre quelques clichés du beau bleu régional.
Je laisse Jean-François et son épouse vers onze heures pour rejoindre Valence.
Merci Jean-François.

Je roule vers Marlène d’abord par des routes secondaires avec l’envie rapide de retrouver l’autoroute et ses aires pour pouvoir me poser et reprendre la lecture des « autonautes de la cosmoroute ». La région est belle et verte. Je suis stupéfait d’une telle concentration de chlorophylle tant, dans mon sud, l’été est synonyme de paysage jaune, orange et ocre. Je suis finalement bien ainsi à petite vitesse à négocier chaque virage comme si j’allais m’arrêter sur le terre-plein suivant. Les autochtones me doublent en klaxonnant, certains tendent leur doigt dans le rétroviseur intérieur pour sûrement aller creuser les parois de leur nez.
Plus j’avance et plus la route semble vouloir me parler. Parler à ma mémoire. Je passe sur ces voies pour la première fois et pourtant le paysage qui défile à la vitesse d’une limace rampante me rappelle quelque chose. Une impression de déjà-vu qu’on ressent parfois sans vraiment s’expliquer si cette sensation est issue du rêve ou de la réalité. Je m’aperçois très vite que c’est bien de la réalité dont il est question quand le panneau d’entrée dans Chirens apparaît. Chirens, petite commune d’Isère près de Voiron, me renvoie, dès que Fafnerito pose ses pneus timides sur les premiers mètres de son territoire, vers le souvenir tendre et aussitôt aqueux des grands-parents de mon ex-belle-famille. (Dit-on vraiment d’une belle-famille qu’elle est ex. ?) 
Dés lors chaque hectomètre parcouru dans la ville voit son lot d’émotions augmenter jusqu’à son paroxysme lorsque je m’arrête face au portail de leur ancienne demeure. Je sors de Fafnerito et prends en photos les lieux, la gorge compressée de la remembrance douce d’un Camillo échevelé et d’une Angelotta à la tendresse oursonne. J’envoie deux ou trois photos du lieu à la mère de mes enfants avec un petit mot marquant mon émotion nouée de l’instant. Je dégage ainsi par le partage le dévers d'émoi et continue ma route.

Après une halte petit-déjeuner à Voiron, j’arrive à Valence dégagé du souvenir et décidé à vivre pleinement et dans le présent la rencontre avec Marlène. Je m’installe au bar de la petite vitesse près de la gare en centre-ville. (Le nom du bar me fait sourire, un clin d’oeil au voyage qui n’a eu de cesse de compresser et décompresser le temps dans un esprit de ralentissement des heures et un éloge à la lenteur des aiguilles– Cortazar et Dunlop n’étant pas étranger à cet intellectualisation du périple - fin de la digression)
Depuis le bar de la petite vitesse donc, j’informe Marlène de mon arrivée et dans l’attente, je sirote une bière et mange un sandwich au fromage. Elle arrive dix minutes plus tard, visage solaire et petits yeux bleu timides. Je suis ravi que nous ayons pu caler notre rendez-vous tant il fut incertain jusqu’à quelques heures à peine. Le courant passe très vite malgré les hésitations et balbutiements de Marlène à dire combien elle est timide et que l’exercice n’est pas gagné d’avance pour elle. La discussion sera finalement joyeuse et bruyante. Le choix de la petite vitesse s’est confronté au remue-ménage de la rue jouxtant la gare : bus crachant leur pétrole, scooter braillards et autres klaxons faisant sursauter ma compagne de l’après-midi. Malgré cela, Marlène se détend peu à peu en s’apercevant que l’animal assis à côté d’elle n’a rien de belliqueux et que l’ouverture dans laquelle il se place n’engage rien d’autre qu’à passer un bon moment pour échanger en littérature, en séquence de vie et humanité tout azimuts. Nous passons trois heures ainsi accompagnés de café et d’eau pétillante aussi légers que deux potes se retrouvant après des années de séparation.
Merci Marlène.

Dix-sept heures, je posse mes fesses dans Fafnerito qui a fait une bonne sieste bien méritée. Brave bête que celui-là tout de même. Je prends l’autoroute A7 pour remonter vers Condrieu et Lidia. La fatigue s’abat d’un seul coup sur le pare-brise me brouillant la vue. Je m’arrête à la première aire en n’ayant fait que quelques kilomètres vers le nord. Je m’installe à une table, ouvre l’ordinateur pour écrire les derniers jours mais je n’y arrive pas. Les voitures se bousculent autour de moi, il en sort des énergumènes gouailleurs et suants, des mômes en pleurs et des mères hystérisées par la chaleur. Après un et deux et trois cafés, je reprends le volant de la voiture championne du monde de la résistance à l’agression routière. Je ne suis qu’à une heure de Lidia mais le temps, dans sa distorsion maligne, s’allonge sur le macadam en soulevant des volutes de vapeur comme un mirage. Après avoir frôlé de très prés un bus et par là l’accident fatal, j’entre dans Condrieu ou plutôt le GPS me fait entrer dans Condrieu. Je ne suis plus qu’un humanoïde las obéissant à une voix synthétique.
Je gare facilement Fafnerito et me pose devant un portail en attendant Lidia. Je la vois arriver quelques minutes plus tard depuis la rue voisine. Je n’étais pas devant la bonne porte. Preuve, s’il en fallait encore une, que sans GPS je retrouve ma qualité décevante d’humain égaré. 
Nous nous embrassons avec ferveur et cheminons vers la bonne rue. Je suis une nouvelle fois accueilli dans un sourire, coq en pâte et choyé comme un enfant. Un thé glacé puis une bouteille de vin blanc pour dégrossir nos vies à grands coups de serpes douces.  Je fais la connaissance de Darwin, le chien nounours joyeux qui frétille de la queue puis de Laura, belle demoiselle qui s’enfuit très vite rejoindre la meute des autres belles demoiselles.
Je passe une soirée exquise dans une chaleur torride. Nous passons en revue mon voyage et parlons de l’intime dégrossi en émotions dont je parle ici à tour de cœur. Le repas est bon, le vin se réchauffe et nos mots aussi. Je lui fais remarque que nous aussi débordons sur des choses personnelles. Se livrer ainsi à quelqu’un de quasi-inconnu est le fil conducteur de ce voyage, j’en éprouve encore avec Lidia le bonheur et sa vérité. Nous irons nous coucher ensemble mais séparément. Un gars du nord et de bon goût me lit sûrement, d’où la précision ci-avant qui me semble tout à fait nécessaire.
Je me lève vers six heures trente après avoir aperçu entre paupières molles, le visage et le sourire en banane de Lidia. Armés d’un litre et demi de café, nous pousserons nos discussions de la veille jusque dans leur retranchement le cœur ouvert à l’inconnu et la langue bien pendue jusqu’à onze heures. Je suis satisfait que la dernière nuit de ce voyage se soit passée ici, avec elle. Elle fait sens – Lidia dans la dernière nuit. Parce que Lidia va, elle aussi, faire bientôt un long voyage vers l’inconnu, goûter à la vie avec tout ce qu’elle comprend de hasards et de bonheur issu de ces hasards. Elle va aller à la rencontre d’un homme et d’une région. D’un homme qu’elle aime. Cela suffit comme raison pour pousser le bouchon lyonnais jusqu’au froid piquant d’Amiens. 
Bonne route Lidia et merci.

08/08 14h30 – Je suis sur une aire de repos sur la nationale 7 près de St Rambert d’Albon. L’autoroute du soleil est saturée. Je vais continuer par la nationale.
Un convoi de mariage vient de passer – les pauvres. Il fait un vent à décorner les futurs cocus présents dans la voiture de tête.
Je suis en retard. Je devais être chez Isabelle Damotte à 15h00. C’est foutu
C’est le dernier jour du voyage. Ce soir je rejoins des amis à Vauvert. Demain, il faudra gérer l’après…

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