La vigne à blancs

10.1.16

C’est la plus près du village. Quelques minutes en voiture, on glisse sur un chemin dégagé ; deux voies pour chaque train de roues et au milieu une bande d’herbes rase et verte. Un sentiment bucolique l’emporte quand, arrivés au pied de la vigne, nous levons les yeux vers l’étendue de pieds joufflus qui s’étire jusqu’au ciel ficelé de frênes et d’oliviers. A la lisière, quelques ronciers inoffensifs nous tendent des mûres grosses comme des billes. On en prend par poignée et on laisse couler la bouche et les doigts de sucre mauve.

C’est la première que nous vendangeons. La première ascension, la cordée est neuve, pas encore lasse. Plus nous grimpons, plus la pente est raide. Les dernières souches dégarnies de leur butin nous tirent déjà dans les jambes et dans le dos. Le premier jour de récolte réveille les vieilles courbatures et en découvre de nouvelles. Mais les rangs défilent. Les seaux, les hottes entières de raisins mûrs à craquer dévalent la pente et nous finissons vite.

Nous gardons toujours pour la fin une rangée d’une dizaine de ceps à blancs. La fin de la journée est alors consacrée à la dégustation sur place d’un raisin doré et transparent au travers duquel on voit les grains nager comme des fœtus d’ange. Sa peau est chaude et sucrée. Sur chaque grappe ronde, une nappe de poussière ocre. On l’essuie d’un revers de tablier ou on passe le raisin sous un bidon d’eau tiède pour dégager les tâches bleues de sulfate.

Bourbenlec, Chardonnay, Chenin, Clairette, Muscat blanc… Le plus érudit affiche son savoir égrenant les familles tout en croquant la grappe à pleine bouche. Les cépages sont nobles et régalent les langues mais les plus beaux blancs finiront dans la même barrique car le mal au ventre nous menace et, repus, nous vendangerons les dernières souches sans y goûter. Les grands noms seront versés dans la benne et mélangés à la populace noire de la vendange.

Sur le chemin du retour, la benne jettera sur le chemin quelques grappes claires. Une odeur de raisin pressé, qui débute sa fermentation sous la chaleur de septembre, effleura nos narines. Trois semaines de récolte nous attendent, trois semaines de lie de vin à brasser dans nos couches.

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