Ta vigne à sang #FPM

21.5.16

De ta vigne coule ton sang. C’est l’allégorie facile parce que vous êtes intimement liés, que le vin tiré du fruit est passé par ton sang, que par et pour lui tu as vécu et tu es mort. Je pourrais écrire Amen après cette phrase si je ne connaissais pas ton athéisme, si je ne savais pas combien tu abhorrais les grenouilles de bénitier et tout le « folklore »  qui entoure la foi. Toi, tu n’avais foi qu’en ta vigne, qu’en tes terres. A ta mort, on a bu du vin. A ce moment-là, je n’en buvais pas. Le vin c’était toi et il faut l’avouer, tout ce qui venait de toi, je le fuyais. Mais d’autres ont bu pour ton grand passage. Ils ont bu ton vin en mémoire de toi. Amen.
Ce n’est qu’après ta mort que j’ai parcouru les vignes vides de toi, après qu’on les arrache et qu’on vende les friches pour une bouchée de pain et quelques litrons de plus. J’y ai trouvé plein de toi et plein de soif dans les herbes hautes que tu n’aurais jamais laissées libres de s’emparer des rangs. Ce fut un théâtre, ça l’est toujours dans le souvenir. Un théâtre où l’acteur principal portait la colle et l’alcool à chaque entracte ; désormais il joue au taste-vin mais derrière le rideau, perdu dans une vigne blanche. C’est une scène abandonnée où seuls les chemins tortueux, les cerisiers, les pêchers et les oliviers ont survécu. L’immuable en fin de compte, un jardin d’Eden, une nature qui, elle, se souvient et me tend la mémoire sur des fils de fer rouillés. J’ai senti sur mes épaules le poids des années sans toi, l’odeur de la sève mélangée au bois entortillé des souches, ta goldo fumante sous les ramures disparues. J’ai marché comme s’il y avait encore la vigne, zigzagué entre les traces laissées et les passages rabattus à coups de cisailles dans les sarments. J’ai continué jusqu’à l’orée du bois, jeté les fagots dans le fossé où plus bas coule ton ruisseau et mis le feu au grand tas pour faire une braise épaisse et une bonne grillade. J’ai tourné longtemps, hagard et angoissé, puis j’ai vu les arbres et leur ombre décliner. L’absence semblait leur peser aussi. Je me suis assis un instant sous l’un d'eux, le grand et majestueux olivier où tu prenais ton petit-déjeuner – jamón con queso et une bonne bouteille à portée de bouche. Et j’ai bu ton vin au goulot, j’ai bu à ton esprit, mécréant. Ainsi soit-il.

A noter, sur le même thème, le billet que consacrent Jean-Claude Goiri et le Festival Permanent des Mots (FPM) : « Ta vigne à sang », cinq textes regroupés sur une feuille A4 en papier japonais pliée en quatre sous forme de carnet cousu. C’est disponible ici >
http://www.fepemos.com/billets-d-auteur

Dans le même tiroir