Avant la lune

30.7.17

Tu aimes par-dessus tout t’asseoir à la table de la terrasse, le soir quand le vent se calme et que les cyprès autour retrouvent leur droiture. Tu prends la toile cirée enroulée sur elle-même dans le dernier tiroir du petit meuble du vestibule. Tu sors, la déplies avec un soupir d’aise. Tu as auparavant enlevé ta tenue de boulot ; quitter le costume comme tu dis. Te voilà paré pour la soirée en short, t-shirt évasé et sandales. Tu décroches quelques pinces à linge de la corde tendue au fond du jardin et disposes la toile sur la table, correctement épinglée à ses quatre coins. Il vaut mieux être prudent ; on n’est pas à l’abri d’une bourrasque avant que la lune ne se pointe.

Assis confortablement sur ta chaise, la seule possédant un petit coussin assorti à la toile cirée, avec de gros motifs de fleurs orangés – enfin, un coussin, du moins ce qu’il en reste : plusieurs fois mastiqué par le chien, il garde la trace de sa bave et de ses crocs mais tu ne te résous pas à le changer – tu fumes lentement en dénouant tes doigts de pieds qui craquent comme des pignes de pin.

Il est dix-neuf heures, l’air est frais pour une mi-juin. C’est ce à quoi tu penses quand elle arrive sans un mot avec son plateau où tiennent en équilibre précaire, la bouteille de pastis, un verre haut avec deux gros glaçons, un broc d’eau et une assiette de cochonnailles. Elle a sur son avant-bras ton gilet retombant comme une serviette de serveur. Ton gilet blanc à grosses mailles que tu traînes depuis des années.

Elle dépose le plateau sur la table. Te sert une rasade : un quart de pastis, trois quarts d’eau. Tu lui souris, elle t’embrasse sur la joue, dépose le gilet sur tes épaules et retourne à la maison.
Tu resteras jusqu’à vingt-et-une heures ainsi attablé entre vapeur d’anisette, jambon ibérique et toile cirée, les fesses posées sur le coussin et toutes tes angoisses tapies derrière les cyprès.

Dans le même tiroir