La photo

1.10.17

Tu prends l’escalier qui descend à la cave. Devant la porte, l’interrupteur te résiste. L’installation électrique est ancienne et le commutateur ne fonctionne plus très bien. Tu dois t’y reprendre à plusieurs fois. Tu actionnes nerveusement le loquet chromé mais rien ne se passe. Sous la petite cloche de l’interrupteur également chromée, un petit grésillement résonne sans qu’aucune lumière ne jaillisse. Tu te dis qu’il faudrait changer tout ça, que ce vieux bouton dont les branchements sont enfouis dans la porcelaine depuis des dizaines d’années finira par lâcher ou pire, un jour t’électrocuter. Tu te dis ça à chaque fois que tu descends à la cave puis tu oublies.

L’ampoule nue suspendue à un fil décati trône au centre de la petite pièce comme un gros oeil de bœuf sorti de son orbite. Elle finit par s’éclairer en affolant quelques insectes alentour. La cave est basse de plafond. Tu y pénètres courbé, défiant les toiles d’araignées qui chatouillent ton visage. Tu es venu chercher une boîte de chaussures dans laquelle tu as rassemblé de vieilles photos. Ta fille est passée te voir et dans la discussion, vous avez évoqué quelques souvenirs, des anecdotes sans importance dont une sur laquelle vous n’êtes pas d’accord. Trois fois rien mais, comme elle te tient tête, tu veux lui prouver que ce jour-là, le jour de tes soixante ans où vraiment tu avais trop bu et amusé toute la galerie, il y avait bien tante Émilie aujourd’hui décédée, que même tu as une photo dans la cave qui te donnera raison.

Entre les bouteilles de vin poussiéreuses, les outils du jardin et autres objets hétéroclites dont tu peines à reconnaître l’utilité, il devrait y avoir cette foutue boîte. Tu cherches, déplaces d’abord avec précaution toutes ces vieilleries, puis de plus en plus agacé, tu commences à bousculer avec rage tout ce qui se trouve sur les deux étagères. Emporté dans tes gesticulations, tu lèves la tête brusquement, cognes le plafond puis la grosse ampoule qui lâche un dernier soupir nasillard et s’éteint.

Tu grognes dans ta barbe, implores tous les dieux et lances bien fort un florilège de jurons qui remontent l’escalier pour résonner dans toute la maison, sans pour autant inquiéter ta fille qui, habituée à tes emportements, esquisse même un sourire bienveillant. Tant bien que mal, tu retrouves la sortie de la cave et retournes auprès d’elle. Même si elle se doute bien que tu ne l’as pas trouvée, elle te demande ce qu’il en est de la fameuse photo. Tu tournes la tête vers la fenêtre qui donne sur le jardin, l’air toujours renfrogné. Quelle photo ?

Tu fais ça à chaque fois que tu descends à la cave puis tu oublies.

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