Six heures trente

24.1.18

Tu tournes autour du pâté de maisons. Une marche lente entrecoupée par les arrêts du chien.
Près d’un lampadaire, il lève pour la première fois la patte, quelques centilitres pour celui-ci. Il en garde en réserve pour le prochain qu'il sait sentir meilleur ; l’odeur d’une femelle, te dis-tu esquissant un sourire tout en serrant la laisse.
Plus loin, il tire et te donne du fil à retordre. Il ralentit puis accélère en reniflant les pas d’un jeune garçon qui, distrait, fait tomber par petites flaques des morceaux de sa crème glacée. Tu t’excuses du comportement de ton chien auprès de la mère qui, à la vue du bestiau, te lance un regard réprobateur. Juste le temps d’ajouter que son garçon sème sa glace sur le trottoir qu’elle disparaît, sa progéniture serrée dans les bras.
La journée s’achève et tu sais que, dans cette grande artère de la ville, tu vas croiser du monde. Sortie des bureaux, foule compacte qui jaillit des bouches du métro. Tu aimes ça, traverser la foule avec ton chien. Tu as l’impression d’être des leurs, de revenir, toi aussi, de ta journée de travail. On pourrait presque le croire, si ce n’était le chien, bien sûr. Rares sont les personnes qui vont travailler avec leur animal de compagnie. 
Six heures trente. Tu sais que c’est l’heure où la rame la plus bondée va lâcher sa cargaison dans l’avenue. Des centaines de gens vont sortir de la terre pour te rencontrer. Ils ne le savent pas mais chaque jour, à la même heure, ils ont rendez-vous avec toi et ton chien pour votre bain quotidien. D’ailleurs, l’impatience grandit. Tu te prépares, fais en sorte de tenir plus fermement le chien. Lui aussi s’excite en remuant frénétiquement la queue. Tu raccourcis la laisse pour qu’il soit juste à côté de toi, qu’il ne déborde pas de la foule, qu’il n’effraie ou pire qu’il ne morde personne. 
Tu entends le souffle du métro. Tu te tiens juste en haut des escaliers, le regard fixe, les pieds bien à plat au sol, au milieu du passage. Ton chien, assis à tes pieds, tire la langue avec avidité. Le souffle puis la rumeur, des voix, des bruits de pas et bientôt la première vague qui t’engloutit.
Tu n’auras fait que dix euros, aujourd’hui.

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