Alvin le web-addict (1)

23.3.10

image

« Alvin connaît ses limites et la fatigue qu’engendre cet acharnement à vouloir exister au-delà du réel. Mais il continue à consommer à outrance de la matière numérique comme un alcoolique penche sur sa bouteille à toute heure de la journée. »

[ Autant en emporte le flux ] Un mince rayon de soleil s’insinue en délicat filet au travers des vieux volets. Il est déjà dix heures. Dense journée à l’extérieur tandis que dans cette chambre plane encore quelques volutes de fumée de cigarettes, émanation toxique des frétillants échanges de la veille. Le rai de lumière brumeux traverse la pièce et vient mourir prés du lit où repose Alvin. Yeux clos, son visage a les traits collants du surmenage. Il dort d’un sommeil agité simplement éclairé par le led vert clignotant de l’ordinateur qui ronronne prés de ses oreilles. Tout est calme. Le petit village du Sud a été déserté par ses habitants maintenant affairés à leurs emplois urbains. A peine quatre heures qu’Alvin est couché et tandis que la journée des actifs bat son plein, lui vide sa nuit.

Une nuit comme toutes les autres. Des heures passées les yeux rivés sur son écran. Des heures à écumer le web. Publier, commenter, tchater, lire, écrire, partager, soumettre, mailer. Une dépendance à l’Internet qu’Alvin ne nie plus depuis que ses journées ne sont plus que répit à ses soirées de geek. Anglicisme barbare que longtemps il a réfuté tant les étiquettes trop collantes exaspèrent sa liberté d’éternel rebelle. Puis, il a fini par adopter cette dénomination en se disant que la société s’évertue à placer les êtres dans des cases et que celle-ci finalement lui convient plutôt. Philosophe rêveur, il s’accommode de sa vie de solitaire en liant et déliant des relations multiples. Des centaines de contacts virtuels chaque soir viennent le rejoindre sur la toile. L’immense manne potentiellement mondiale afflue de toute part. Il navigue avec aisance dans cette société conceptualisée. Facebook, twitter, blogs et autres sites collaboratifs connaissent son pseudo. Il inonde ces pages d’articles et de pensées diverses.

Dans cette grande marée humaine désincarnée, Alvin est décomplexé. Lui, le jeune trentenaire timide peut s’exprimer. Ecrire ce qu’il ne peut pas dire. Partager avec les autres ce qu’il n’ose pas exposer dans sa vie. Lancer au monde sa vision de la vie et peut-être, pense-t-il, trouver dans ses échanges un sens en retour à sa propre existence. Alors il se lâche, met toute son ardeur à convaincre, à séduire aussi. Les rapports virtuels apparaissent pour lui comme une réalité. Ce sont bien des hommes et des femmes comme moi derrière l’écran, se dit-il constamment. Je ne suis pas seul. Je suis lié au monde par le plus extraordinaire moyen de communication jamais inventé. C’est certainement ce doux rêve qu’Alvin est entrain de faire lorsque son réveil vient l’arracher à sa nuit.

A suivre…
Illustration

Dans le même tiroir