Je t’attends

15.9.10

image Je t’attends, tu le sais, le redoute. Tu arrives, moment immuable du soir : ton retour à la maison. La porte que tu ouvres toujours du même mouvement de clés. Elles tintent dans ta poche, brassées par ta main chercheuse puis, tapent le fer des atours de la serrure, hésitent et trouvent enfin le creux. Tu titubes et entres d’un pas lourd mal assuré dont l’écho dans le vestibule remonte vers moi par l’escalier. Chaque pas te rapproche. Je t’attends. En haut, dans la cuisine. Mains repliées sur mes devoirs que ton arrivée fait terminer, j’écoute avec attention ta progression. Je sais à chaque seconde l’endroit où tu te trouves et le chemin qu’il te reste à parcourir pour arriver jusqu’à moi. Tu hésites, ne peux franchir les marches qui nous séparent. C’est un passage obligatoire, tu le sais. Alors, comme tous les jours, tu restes un instant interdit puis entres dans la cave et laisses la porte ouverte. J’entends le cliquetis du bouchon mécanique, me semble voir tes yeux pétiller lorsque le goulot approche tes lèvres. Je t’attends. Tu reposes la bouteille qui claque sur le vieux buffet remisé, refermes sur toi la porte de ta salle d’ivresse, ton lieu de décompression. Tu te plantes devant l’escalier et expulses une toux factice pour te donner courage et contenance. Et enfin tu grimpes une à une les marches, pénible ascension aux sons sourds de tes épaules qui frappent les murs. Maintenant, tu es là, je te vois, figé sur le seuil de la porte de la cuisine. Tes yeux qui roulent le vague, ton corps mou éprouvé, et tu piétines, avances et poses un baiser d’absinthe sur ma joue.

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