Il faut ranger le linge

Papa monte se coucher. Maman compte ses pas lourds et lents dans l’escalier. Sent sa main agrippée à la rampe ramenait son corps à la marche suivante. Péniblement. Il feint. Elle souffre. De son corps à l’arrêt, de sa voix en apnée. Elle l’écoute fuir. Peut-être ainsi l’aide-t-elle ?

Il faut ranger le linge.

La porte de la chambre ouvre un courant d’air qui rafraîchit l’instant puis se referme sur lui, sur elle. Il tousse. Elle masque le bruit par un raclement de gorge. Il crache dans un mouchoir en tissu. Elle lève les yeux au ciel. Il allume la vieille télé posée sur la commode. Une voix enjouée sort du poste et crève le silence. Elle ouvre un magazine sans aucune intention de le lire. 

On plie les draps ?

Elle repose le magazine et se saisit de la corbeille à linge. Me tend un drap frais empoisonné de lavande. Un bout pour moi, un bout pour elle. Et on tire pour tendre, pour effacer les plis, les dents serrées avec l’envie que l’autre cède. Parle. Dise. On rabat le voile, plie le drap au plus juste, bord à bord. En deux dans le sens de la longueur et maintenant, il faut se rapprocher pour le finir – le drap, Papa - pour le rabattre une fois de plus, le plier en quatre. Les regards se fanent dans le blanc de nos yeux.  La télé crie.

Il faut ranger le linge.
  • 23.2.14

Sec et ocre

Dans la vigne déserte, ravalée par l’hiver, la peau morte abandonnée aux frissons du mistral, il fait saigner la terre à grands coups de pioche. La montagne le regarde, impassible, en caressant d’ombres son échine courbée. 

Une vie rêche coule dans ses veines, pas de place pour le rêve. Ici le temps est dur depuis toujours. Sec et ocre. Une toile sépia éternelle.

Il lève l’outil au ciel comme un guerrier en incantation et frappe avec force l’écorce d’argile durcie par la sécheresse et les vents. Trois petits pas dans le rang et la pioche s'envole à nouveau, double sa hauteur, le rend beau, grand et majestueux. Le temps d’apprécier le geste et l’outil disparaît sous son corps. Plié comme un roseau, il reste un temps le souffle court avant de se redresser et recommencer à casser de la terre.

Au bout du rang, il fait une pause, les mains en compresse sur ses reins brisés, le regard haut et fier. Petit homme au visage buriné de sueur fraîche, il contemple le labeur accompli puis lève les yeux vers la montagne comme pour lui demander son avis, comme si elle était la seule capable d’apprécier sa bravoure et sa joie d’être là.

Un coup de vent sèche son visage, dévale les coteaux et fait frissonner le tapis de pins sur les flancs de la montagne. Elle s’ébroue. Elle l’a entendu. Il remonte son pantalon, ajuste sur ses oreilles son bonnet de laine et lance la pioche au vent, un air satisfait collé aux lèvres. 

  • 8.2.14