Sans voix

Tu parles toujours dans ma tête. Seulement dans ma tête. Ta voix rauque à l’accent chantant d’ici, je ne l’entends plus. Tu peux toujours crier dans quelque rêve ; je ne comprends pas tes mots. J’ai oublié le timbre de ta voix. Seule ta bouche remue la poussière d’entre les murs qui nous séparent. Une bouche vociférant des mots que je n’entends pas. Un appel sans bruit mais avec l’expression de ton corps que je vois et garde précise. Une scène qui se répète ab libitum. Muette.

Et plus tu t’époumones, plus se tend le piège de la nostalgie : voir sans entendre. Savoir sans comprendre et combler le vide par le souvenir. Un souvenir en miroir, toi dans moi, moi dans toi. Le fils, le père et nos ressemblances de silence. Ton visage se coule dans le mien, trait pour trait. Il balance les mêmes lèvres nourries de ce qui ressemble à nous : un monde de taiseux. 

Pourtant, tu veux raconter. A moins que ce soit moi qui ai besoin de dire combien je te reconnais en moi. Projection de l’un sur l’autre, je vieillis et te rejoins. Le gris qui nous rassemble désormais fait que ma vie rattrape la tienne dans un même cœur lourd. Bientôt, nous accorderons nos bouches pour nous souvenir. Sans voix.

  • 27.7.14

Comme l'eau du puits

Entre deux orages d’été, par un temps au goût de serpillère mouillée, tu rinces le trottoir d’une eau claire tirée d’un puits imaginaire. Tu redresses les géraniums ébouriffés par le vent, jettes sur eux un regard de compassion. Le rouge fané des fleurs, délavé par l’essorage a chamboulé tes rêves. Le ciel en colère a renversé l’horizon. Te voilà le cœur javel, les pieds dans l’eau et un grêlon coincé dans la gorge, à ressasser le beau temps d’hier et les armories du ciel.

Un voile dans tes yeux, tu fixes l’arc-en-ciel dans le caniveau. Tu balaies les scories d’un passé persistant à fixer des couleurs identiques, fourbies d’un filtre sépia. Le trottoir bientôt sera sec et ne reflètera plus rien que le vide de tes idées désordonnées. Le grêlon dans ton ventre en sourdine fixera le fiel. Jusqu’au prochain grondement où l’espoir reviendra clair comme l’eau du puits.

  • 5.7.14