Tu as peur bien sûr

Tu as peur bien sûr. Mais tu ne le montres pas. Chaque souffle te prend de court mais jamais tes yeux ne trahissent l’angoisse. Ta main comme un palimpseste réécrit la mémoire en balayant tes cheveux clairsemés. La gomina encore sur tes doigts colle sur ton crâne le souvenir des disparus. Ta fierté, c’est de les avoir encore noirs et fins, poivres sans sel. Seule une ombre sur chaque tempe donne de la gravité à ton regard. 
Car l’instant est grave. Tu le sais. Tu es passé sous les rayons, toi le discret qui fuis la lumière. Et voilà qu’on s’apprête à t’atomiser de l’intérieur. Que d’autres se permettent de te garder en vie semble te perturber. Que de jeunes médecins décident de tirer à coups d’armes chimiques dans ton sang provoque en toi un mutisme révolté. Ton visage peu à peu s’englue dans la cire. Rien ne peut désormais te sortir de la torpeur.

Tu as peur bien sûr. De partir. Ta main renvoie sans arrêt une maigre mèche sur ton front pour cacher ton inquiétude qui fronce. Le peigne mouillé racle ton crâne et rabote peaux mortes et pensées noires. Celles-là mêmes que tu tais. Ton sourire ne laisse plus passer qu’un jaune sale au travers duquel il faut déchiffrer tes pensées. Tes gestes deviennent lents et inconsistants. Tu gravites uniquement autour de ta tête comme pour nous indiquer vers où tout cela voyage désormais. Tu te recoiffes sans cesse, plante tes ongles dans ta chevelure, arrache chaque cheveu blanc revêche. 

Tu as peur bien sûr. De les perdre. De te retrouver crâne nu, malade aux yeux de tous. Vraiment mort.

  • 21.12.14