Incipit #TFV #LesVisages #LeLivre #WorkInProgress

23.11.15

Je ne sais pas d’où cette envie m’est venue. Je ne suis pas certain que ce fût une envie, mais plutôt une nécessité. Une nécessité d’être au monde.

A la fin du mois de mars deux mille quinze, après un hiver coton et un début de printemps chahuteur, je décompense. Je perds mes repères, dans ma tête comme dans mon corps. Une asthénie longue me cloue au sol, fixant mes jambes dans une terre grasse, versant dans mes artères une purulente gangue. Une purée envahit mes pensées et bloque mon cerveau. Je suis en dépression, une météo maussade entre les oreilles, une pluie grasse sur les os, une intempérie interne, un débordement profond par lequel toutes les digues lâchent. Les remparts à la grosse fatigue cèdent par la force de trop longues années de maraudage sur place d’une pièce à une autre, à ne vivre que par procuration la vie rêvée des autres. Ces autres, mille visages, qui, comme moi, s’ébrouent dans une vie pleine de contradictions, d’atermoiements livides, d’inexpressions pantelantes.

Dans la langueur de mes jours, j’en connais plusieurs qui oeuvrent dans le clair-obscur des chambres chaudes. Des visages à mille couleurs qui, dans le silence des claviers, distribuent sur le réseau du beau, du laid, du dégagé, de l’hautain ou du puérile - mais du vrai. Le grand réseau interconnecté des gens. Mes seuls et réels contacts sont dits virtuels, parce qu’ils ne sont que des pages-écran plates sans consistance physique, sans chair ni os, que de la matière intérieure, que de la substance intellectuelle et stomacale, le tout mixé et projeté à mes yeux par la technologie folle de la publication en ligne. Chaque visage se colle à des vignettes, petits carrés de pixels qui enferment l’âme et figent les traits. Derrière, c’est l’inconnu des expressions, des gestes, des allures, des pleurs, des rires, des rictus nerveux, des voix et de leur sinusoïdale.

Qui sont-ils ? Sont-ils vraiment là où je les crois ? Entendent-ils ma voix ? Qui vit comme moi l’inéquation d’être EN vie et DANS la vie ? Qui tire sur la corde chaque jour pour trouver le chemin qui réconcilie la tête et le corps ?  Qui se cache derrière ces visages que je reçois chaque jour dans la lucarne de mon ordinateur ? Qui sont ces gens qui me raccordent à la vie au travers d’un écran blanc ?

Voilà la série de questions qui m’assaille aux premiers rayons de soleil d’un printemps de pagaille. Il faut que je sorte, que j’aille souffrir leurs mots dans mes oreilles. M’offrir un voyage à leur rencontre, vérifier leur existence pleine et belle. Pour ceux qui partagent avec moi l’écran depuis des années, me mettre en face, yeux dans les yeux, les écouter, les retrouver pareils à leur état connecté. Ils écrivent, ils lisent, ils vivent et ils le disent, partout. Je veux les vérifier, je veux me vérifier, je veux découvrir que je suis en ligne comme en vie. Que je suis les autres.


#fafnerito au repos


Dans le même tiroir