Ô rage !

30.3.16

Septembre et sa météo incertaine gagnent les esprits échaudés par l’été. Chacun surveille le ciel. Il donnera l’humeur du jour. Le raisin est mûr et gros. Sa peau ne ment pas. Elle est tendue, prête à éclater. S’il venait à faire orage, la récolte serait décimée. Pourtant, la cave coopérative n’a pas encore ouvert. Les coopérateurs, petits exploitants qui apportent leur vendange à la cave, sont impatients. Dans le village, ça sonne le tocsin. Le président de la coopérative est interpellé dans la rue par les vignerons impatients.

Si vous attendez encore une semaine, vous allez nous crever ! Si vous n’ouvrez pas les portes dans les jours qui viennent, nous déposerons le raisin à même le sol !

La colère monte en même temps que les nuages noirs coiffent la colline.

J’ai douze ans et secrètement, je prie pour que l’orage éclate. Un orage gigantesque qui durerait trois à quatre semaines. Ce serait parfait. Je ne veux pas aller vendanger. Je ne veux pas aller à la vigne d’en-haut, macérer dans la boue rouge, m’enfoncer jusqu’aux genoux parce qu’il aura pluvioté juste assez pour saccager la terre et pas assez pour ruiner la récolte.

Chaque automne, l’école permet un congé en septembre pour que nous, les jeunes, puissions aider nos familles à rentrer le raisin. Un congé ! Tu parles d’un congé. C’est le bagne. Douze ans, les jambes encore flageolantes, une assurance de moussaillon des vignes, et un dégoût de tout ce qui peut saloper mes fringues. Tout ça me débecte, sans compter les remontrances du père, les atermoiements de mère et la robustesse de grand-mère qui, du haut de ses quatre-vingt automnes, travaille deux fois plus vite que tout le monde. Et s’il ne pleut pas, il fait une chaleur à crever ! Non et non ! J’espère que les dieux entendent ma prière. Il en suffirait d’un de dieu, celui qui fait la pluie. Comment s’appelle-t-il ? Que je lui cause.

Le vent se lève sur le Caroux, dévoile la femme allongée et je suis dépité. La cave coopérative ouvre et nous voilà partis pour des semaines de calvaire.


Le Caroux (la femme allongée)

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