Le nez dans un verre de Muscat

J’ai mis mon nez dans un verre de Muscat, aujourd’hui. Vin liquoreux, trop sucré au parfum tenace qui a soulevé mon cœur et un souvenir ancien. 
La cave sous la maison et son odeur de vin passé, mélange de la vendange et de son produit brut, vin noir et robuste, rêche en bouche ; loin donc du Muscat délicat qui titilla mes narines.
Pourtant, c’est là, au milieu de la cave, que j’ai retrouvé mon père accroupi face à son alambic à Pastis, entouré de ses bouteilles de rouge, gauloise au bec, beau comme une grappe de Muscat dorée au soleil.

  • 24.10.20

Dans la rumeur de la ville

 On descend un peu dans la rumeur de la ville. Pour prendre le pouls de ceux qui ânonnent des histoires de couvre-feu. On parle au voisin qui serre contre lui sa fenêtre. Sa tête dépasse du mur, s’invente un paysage sombre sur lequel tombent des bombes invisibles. Comme en quarante mais il n’y a plus les boches dans la rue. Comme en vingt, il est vingt-et-une heures et sur les toits le silence éclate.
  • 20.10.20

De l’enfance, je retiens l’inutilité d’être parmi les gens

De l’enfance, je retiens l’inutilité d’être parmi les gens, posé là entre un canapé et une table basse, à faire courir un monde de jouets aux couleurs irréelles. La vision trop basse, toujours axée sur les hanches de ma mère, scindait l’espace en deux. En bas, un ballet de jambes longues animées par un grand et invisible marionnettiste et, plus haut, un univers de formes et de sons plus intrigants les uns que les autres. Tout sonnait faux et les images trop floues ne parvenaient pas à faire leur chemin de clarté vers moi. Quelqu’un, quelque part, lançait des couteaux dans le vent qui jamais n’atteignaient leur cible : des mots, des actes, des silences incompréhensibles et lourds à porter sous un crâne dont la fontanelle n’arrivait pas à se refermer. Les heures étaient de ce poids, étaient de ce mystère des grands, de l’impuissance de leurs mots dans ce grand chaos qui semblait régir la vie.
  • 10.10.20