Il guette le blues

Dimanche après s’être brossé les dents a mordu dans son pain quotidien. De là, le silence a rendu l’âme aux choses qui aiment les secrets. Petites failles invisibles dans lesquelles désormais il se vautre, les pieds en éventail et le cœur léger. Un café, un livre, un peu de musique. Buddy Guy crache un son électrique dans le salon.  Il guette le blues qui tombe en petites gouttes et puis c’est tout.
  • 28.11.21

Tocs et trilles

Masqué de très près à s’en faire ressortir les joues par-dessus l’élastique, un homme sort de sa voiture, la ferme d’un coup de télécommande. Bip puis écho de phares. Maintenant debout sur le trottoir, souffle et fait trembloter le papier du masque comme jouerait une fleur en tulle au bout de son bâton. Souffle puis met ses mains dans les poches, les ressort, les frotte l’une contre l’autre énergiquement. Ressort la télécommande, vérifie que les portières soient bien fermées, celle de devant, celle de l’arrière. Piétine un peu sur le pavé. Souffle dans son masque, se gratte l’arrière de la tête, se lave à nouveau les mains dans l’air. Rouvre la voiture. Bip puis écho de phares. Souffle, ouvre la portière, se penche, se relève puis referme. Bip, écho de phares, se gratte, agite les mains, vérifie les portières, piétine. S’arrête, attend. Fait le tour du véhicule.
Sur le balcon au-dessus de lui, un oiseau se pose sur la rambarde. Un trille, l’oiseau agite ses plumes, pique deux fois la peinture déjà écaillée. Un autre trille sonne le départ, il s’envole.
L’homme lève la tête, une larme s’échappe. Il part.

  • 17.11.21

De l’enfance, je retiens le ciel qui se mascare

De l’enfance, je retiens le ciel qui se mascare. J’aimais ce verbe qui pourtant annonçait l’arrivée d’un orage ou pour le moins la pluie dense comme le sont les gros nuages qui s’emparent du ciel. Et par extension, mascarer s’appliquait dans la bouche de mes parents à tout ce qui dans la vie pouvait se couvrir de sombre ou donnait signe avant coureur de défaites voire d’échecs cuisants. Dès lors, « ça se mascare » était un refrain assez régulier. Mes bulletins scolaires de trimestre en trimestre se mascaraient. Lorsqu’il m’arrivait d’esquiver la vérité pour ne pas dire de mentir éhontément, j’avais devant ma mère le visage qui se mascarait. Et quand la mort approchait de trop près un parent, un ami, une connaissance, le meilleur euphémisme ne pouvait être autre chose qu’un ciel de vie qui se mascare.  
Mais ce verbe, utilisé à tort et à travers, trouvait surtout en moi l’écho artistique qui faisait tant défaut à mes parents. Mascarer était peindre, certes pas de la meilleure couleur qui soit mais l’employant, je les imaginais toujours en train d’esquisser dans le ciel ou sur des visages un joli barbouillage de mots qu’eux seuls savaient réaliser.
  • 13.11.21

Les voix qui m’appartiennent

Je compte les voix qui m’appartiennent
dansent dans ma tête
des pas de deux 
des pas de passage
de l’un à l’autre 
mouvement immobile 
des quelques cellules
blanches puis noires
qui à la fois me contiennent 
et dans lesquelles je m’enferme
  • 10.11.21

Bouche d’ombre

Un fil électrique court sur le mur d’en face, tremble sous le regard. Une bouche d’ombre apparue grâce au déplacement du voisin du dessus, le tire vers elle puis le prend entre les lèvres comme s’il s’agissait d’une paille. 
Regarder, c’est déjà changer le réel.
  • 4.11.21