On ne payait pas l’entrée

11.11.12

Je faisais partie de la bande qui avait le privilège d’entrer en boîte de nuit sans débourser un centime. Mais il fallait prendre la bouteille, un J&B à dix fois le prix, mais ce n’était pas payer car, de toute façon, nous allions boire et cet argent déboursé – cent francs – c’était pour se bourrer la gueule, pas pour régler un droit d’entrée. Et c’est clairement parce qu’on ne payait pas l’entrée qu’on était considéré comme des personnes importantes – enfin nous nous considérions comme des personnes importantes, serait plus juste.

On accédait à l’antre de la nuit au seul prix de nos apprêts de mâles : gominés, sapés de propre voire de neuf, basket interdit, tenue correcte exigée avec chaussures de ville, jeans neige et petit polo coloré. Nous entrions après avoir fait les comptes sur le parking. Compte de nous, combien participeraient à la bouteille, qui ne boirait pas et pourrait s’immiscer dans le groupe en lousdé et feindre la consommation qu’il ne prendrait pas. Cinq cents balles la bouteille, le calcul était rapide, celui qui n’avait pas assez de thunes devait promettre de rembourser le samedi suivant et à moins de cinq qui crachaient ses cent francs, nous redescendions simples mortels, petits morveux obligés de payer l'entrée, de faire la queue comme tout le monde, seul, désincarné du groupe. C’était simple, si on ne réunissait pas la somme, on n’y allait pas. Trop de honte à entrer comme un anonyme dans le temple de la nuit.

A peine la porte franchie et les tapes appuyées dans le dos du videur – ça va ? bien ou bien ? -, nous balancions déjà nos têtes tels des automates accordés aux basses de la sono. DJ machin était dans la place, nous aussi, rapidement attablés autour du J&B, carafes de coca et jus d’orange, seau de glaçons et verres en tube réfléchissant les néons noirs de la night. On n’avait pas payé et on squattait le carré VIP, juste au-dessous des platines. Le bonheur. On n’avait qu’à se lever pour demander un titre au DJ, une dédicace spéciale pour une des nanas à la table d’en face. Laquelle souvent ignorait le ronflement en écho du micro et l’hommage à sa beauté rendu – certainement qu’elle et ses copines, vu leur table désespérément vide, avaient dû se contraindre à payer l’entrée. Trop confuses et se sentant inférieures à nous, elles restaient confinées sur leurs fauteuils en skaï, les looseuses.

La nuit bouffait le samedi sans qu’on aperçoive le petit jour au dehors. Quatre heures du mat’, puis vite six et les yeux blanchis par la lumière, nous ressortions imbibés de whiskey et barbouillés de jus d’orange. La sortie était aussi gratuite que l’entrée, mais nos gueules se payaient une drôle de cuite. Une seule bouteille pour cinq descendue dans les premières heures et le reste de la nuit pour s’en remettre. Assis sur les marches de notre palais qui se refermait, nous faisions à nouveau les comptes : combien avaient chopé, qui aurait dû se contenter de payer l’entrée ou simplement ne pas entrer, qui n’aurait pas dû boire et devrait feindre la clarté d’esprit en rentrant à potron-minet chez papa et maman.



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