Un avilissement soudain

22.2.10

image Je l’ai encore perdue. Tous les soirs, à la même heure, c’est la même chose. Je ne sais pas pourquoi elle s’évertue à me fausser compagnie. Elle, ma camarade de somnolence, celle qui me donne la vision éclair du monde. Celle qui m’octroie le choix, la possibilité de jalonner comme bon me semble la journée évanouie ailleurs, chez les autres, dans le monde réel ou inventé. Car ma journée, je veux l’oublier. Elle n’a été que sinistrose, morosité et ineptie d’une vie consumériste.

Rude et harassant, mon labeur laisse d’accablantes traces, auréoles de sueurs ruisselantes sous les aisselles et huile invisible de coudes râpés sur le rebord d’un bureau. J’ai besoin de décompresser. Et elle, elle n’est pas là ! Pourquoi me joue-t-elle ce vilain tour de passe-passe ? J’imagine en mon absence la manigance de son escapade. Sournoise, je la vois ramper sous les draps, se faufiler sous le matelas ou, mieux, se dissimuler dans un endroit inimaginable afin d’échapper à ma vigilance. Une fois bien camouflée, elle doit patiemment guetter mon arrivée, et rire sous cape de l’énervement qu’elle va provoquer.

Chaque jour, son dessein est de me narguer, de m’excéder au moment choisi. Elle le sait, elle jubile. Elle est d’autant plus perverse qu’elle sait se faire oublier. La soirée se déroule sans que son absence ne pose problème. Sa nécessité, elle le sait, ne se fera sentir que plus tard, au moment où je voudrais jeter une dernière réflexion à la vie avant de m’endormir. Et ce n’est que lorsque l’instant arrive que je m’aperçois de sa duplicité. Je me couche, m’installe confortablement et tâte mon lit fébrilement. Moi qui la crois gentiment alanguie sur ma couche, il n’en est rien. Elle n’est pas là. Pourtant, je sais qu’elle n’est pas loin, que son importance ne peut la tenir trop distante de son fidèle complice. Elle n’est rien sans moi ! A cette heure, je ne suis plus rien sans elle. Mon lit, le bureau, sur le sol. Il est impossible que je l’aie posée ailleurs qu’autour de ce périmètre restreint. Et je rage, peste, débite les mots les plus insultants à son encontre en remuant mon plumard dans tous les sens. Je ne peux pas croire que, dans un moment d’égarement, j’ai pu la laisser libre de tout mouvement, à la dérive et donc à la merci de cet avilissement soudain.

Draps, couvertures, oreillers volent de toute part. Je crie, je hurle et finis par me lever. Une simple pression sur le bouton « ON » de mon téléviseur et la voilà qui réapparaît arrogante dans une rainure du sommier. Satanée télécommande.

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