Sur le zinc

31.7.10

image Le troquet du coin, le refuge du besogneux, est planqué dans un virage à l’entrée du bourg. Bourgeois, bourgeoises n’y sont pas légion. Ici, règne la ruralité, l’esprit communautaire des terriens, de ceux qui usent leurs godasses sur les hauts coteaux de schiste. C’est dans cet endroit qu’on trouve le repos du juste, qu’on racle la boue et dépose la poussière des vignes. Après avoir travaillé à la fraîche – matinée de cinq à sept – on étanche sa soif, imbibe son gosier séché par le souffre. La bière-pression jaillit sur le zinc. Sur les sous-bock, elle trace un rond parfait et perle le frais des galopins du matin. Trop tôt pour l’apéro, trop tard pour le café, l’envie de griserie est grande mais les contenants petits, comme pudiques. Il faudra les multiplier à l’abri des regards pour satisfaire son intempérance et délier sa langue. Perchés sur des tabourets et arc-boutés sur le bar, on se raconte qu’il fait chaud en exhibant son bronzage agricole et on se félicite de s’être levés avant le soleil pour aller désherber les vivaces.

Dans les mains, le bleu du roundup. Dans les narines, l’odeur des pesticides. Et dans les palais, trémousse l’amertume du houblon.

Les heures et les tournées défilent. A toi, à moi, personne ne partira sur une jambe ni sans celle du patron. Dehors, le gros jaune au plus haut envahit la terrasse, la bâche se baisse et les bocks disparaissent au profit du petit jaune. Caillou de glace dans la liqueur, quatre volumes d’eau et les cœurs se réjouissent de la sieste à venir. L’odeur de terre traitée s’évanouit dans l’anis mélangé à la transpiration des braves. Les habitués se collent au bouchon pour éviter de basculer du tabouret. Sous leur nez, défilent les verres, coupelles de cacahuètes et olives noires. La chaleur et les paroles montent d’un cran, les discussions fusent et les désinhibés deviennent les plus beaux orateurs. Quelques cols blancs rejoignent les prolétaires les moins imbibés et improvisent une partie de belote au comptoir. L’ivresse est sur le zinc et le labeur oublié.

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