Route

29.7.10

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Départ, arête sensible d’un début sans cesse renouvelé. La porte tirée, verrouillée, mise en attente du retour, laisse là chat et meubles, une vie immobile, pas plus. Cent mètres, ma traction, qui me porte, invariable, toujours là sous le platane. Pression sur la télécommande, yeux qui clignotent. Ouverture, la clé, sésame de partance, contact, ceinture, je démarre. Les arbres qui s’éloignent en point de mire voilé, je les vois, ne les regarde plus. Marche arrière, zoom éclair, puis en avant défile l’asphalte. Le village qui se réveille, vieux sur la terrasse, café chaud et cendriers fumant. Je tourne et retournerai. La banque, le premier rond-point vert, toujours vert. Le tabac, ne m’arrête pas, pas le temps. Suis les trottoirs des maisons anonymes. Volets qui s’ouvrent, regards en dispersion, qui ne voient pas. Un feu, rouge, agitation de la sortie du village, lieu convergent, les vitres qui se baissent, les cigarettes qui craquent au bec. En face, ça roule et presse pour ne pas perdre le vert. Ronflement des moteurs, odeur de vidange, vies qui accélèrent encore, puis le vide au milieu, deux secondes. C’est à moi de passer, première, embraye, lâche tourne et court. Emprunte la voie la plus rapide : route de la petite Camargue. Seule dans le paysage clair, elle s’échappe de la ville. Talus humide du matin, chaussée déformée, toujours un camion à suivre, à ne pas pouvoir doubler. Ralentissement, agglutination, sur le cul du poids-lourds traînant. Lâche le lent sur les quatre voies qui surgissent, nouveau bitume, sec brillant entouré de garde-fous, rampes métalliques qui trouent quelques bosquets clairsemés. La vitesse augmente, me cale dans un couloir fermé, et pense que derrière, il y a la mer. Ne la vois pas mais la sens, embruns qui remontent dans les aérations, mouettes et flamands roses qui balayent les étangs. Mais toujours la vitesse, et entre déjà dans la ville, la route encore plus large, plus d’espace, plus de voitures, la cité ouvre ses bras. Les voies se démultiplient, quatre puis deux fois trois, grand boulevard qui draine l’afflux des autos comme une aorte se remplirait de sang. Tous dans la même direction, se croisent, s’entrecroisent, se klaxonnent, se doublent et s’ignorent. Toujours la vitesse et les premiers buildings apparaissent au loin. Entrée dans la ville. Nouveau ralentissement, pare-chocs contre pare-chocs, le paysage réapparaît, vitres qui glissent, bras qui sortent nus, qui flottent, qui fument. Avance au pas jusqu’à l’échangeur d’autoroute, un nœud puis l’éparpillement : une file va nourrir la ville, l’autre continue sur les grands axes des zones industrielles. Autos qui détalent, explosion de l’anneau concentrique et m’extirpe sur ma voie, chemin immuable jusqu’à destination. Bordée de bâtiments blancs, tous identiques, avec seul détachement les couleurs de leurs enseignes. Rouge, vert, bleu, balayent mon champ de vision. Dernier rond-point, nouvelle et dernière concentration de tôles, le parking où les chevaux vapeurs dorment. Manœuvre, stationnement, toujours la même place, la clé, pression sur la télécommande, yeux qui clignotent, fermeture. Arrivée, arête sensible d’une fin sans cesse renouvelée.

Texte inspiré par une proposition de l’atelier d’écriture de Pierre Ménard : Décrire un trajet que l’on fait tous les jours (en train par exemple) et noter sur le vif, sur le motif, ce que l’on voit et les réflexions que ce voyage immobile fait surgir en nous, au rythme de son avancée : « Variations de récit sur réel répété à l’identique, et pousser cela à bout, et rien d’autre même au récit que ces images pauvres, rue qui s’en va en tournant, encore ces maisons aux angles trop droits, encore un garage et des immeubles. » Paysage fer, François Bon, Verdier, 2000.

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