Sous le clocher

18.9.11

J’ai habité sous un clocher. Enfant, dans mon lit je dénombrais les coups de butoir, pour connaître l’heure, pour savoir s’il était temps de me lever. Aux heures tardives du dimanche matin, il m’arrivait fréquemment dans l’embrume de perdre le compte, neuf, dix, onze, je ne savais plus. Parfois, inquiet, je n’entendais qu’un seul coup, un son de cloche perdu dans la matinée qui n’annonçait rien d’autre, un quart d’heure plus tard, que le repic d’une heure que j’avais perdue. Il me fallait alors patienter encore jusqu’au prochain défilé de sons creux et évasés, les accrocher un à un sous mes yeux clos pour ne perdre aucune de leur résonance. A onze, pas avant, je me levais, débarrassé de l’angoisse d’un lever trop tôt et la journée sous le clocher continuait.

Régent du jour comme de la nuit, le haut beffroi balançait également ses airains pour avertir les fidèles d’une cérémonie à venir : danse joyeuse de la messe dominicale, solennelle et grave marche pour les vêpres au crépuscule ou même fanfaronnade païenne pour les annonces du garde-champêtre, foires artisanales et autres marchés locaux.

Mais du métronome du temps qui passe aux avertissements de la vie au village, demeurent des coups de cloches qui résonnent encore creux dans ma tête. Une série funeste en forme de bourdons retentissants qui alarmait tous les habitants et qui soufflait dans les rues la question rituelle et morbide, si angoissante que sous le clocher la vie semblait s’arrêter. Les gens qui savaient répondaient aux curieux, d’autres cherchaient sur les perrons pour qui pouvait bien sonner ce terrible glas. Et après la longue et interminable litanie grise, le défunt identifié, les heures reprenaient les cloches en main, battants réguliers qui remettaient en place le balancement du quotidien.



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