Guerres impulsives

30.10.11

Il est des guerres impulsives, des guerres qui ne tuent personne mais dans leur récurrence, entre ego bien dimensionné et octroi d’un dû nécessaire à la survie, font des arabesques électriques dans la vie familiale, des rondes en joutes verbales, provoquent haussements d’épaules et œillades faussement malveillantes. Prenez une maison lambda où vit une famille, deux enfants adolescents, fille et garçon et leur maman. Pensez la vie dedans, les hormones en gestation, la barbe naissante au menton et les ovaires qui jouent des castagnettes. Rajoutez-y une génitrice complice et un observateur pas tout à fait neutre, au regard amusé et à la tendresse camouflée. Secouez le tout et laisser agir.

Prenez position, zoom, un peu de hauteur de l’adulte au regard d’enfant et faites le tour des pièces de la maisonnée pour recueillir en scénettes théâtrales les lieux propices au conflit. D’abord autour du ventre, dans la cuisine, regardez les placards, chacun le sien, les denrées sucrées préférées qui sont cachées à l’intérieur, rangées par préciosité, par genre, par goût, les plus chères en trésor de guerre et les communes - en particulier le fameux soda noir - salivées par l’adversaire lorsque il vient à en manquer dans sa propre planque. - Mon coca ! Tu m’as piqué mon coca ! Accusation franche, début de la belliqueuse discussion. - Dans mon placard, à moi, le mien, MON coca, il en restait douze, il n’y en a plus que onze ! On a fait sécession pour moins que ça. On a tués, éventrés femmes et enfants pour de l’eau, simplement de l’eau plate sans goût et transparente alors pensez donc, pour du coca ! S’en suivent de multiples arguments, des traces de pas, des empreintes digitales sur les plastiques renfermant les canettes desquelles, si elle pouvait, la victime décrypterait l‘origine en agent du NCIS ou expert avisé avec un pinceau plumeté, les mains gantées et l’œil dans un loupe électronique scrutant le placard, scène de crime balisée.

Coca volé, méfait entendu et reconnu, la suspicion se colle aux murs. Chaque parole, chaque acte sont scrutés, les biens les plus convoités sont changés de place. Les cachettes évoluent, chaque recoin de la maison peut devenir lieu de thésaurisation, cadenas dans l’œil et vigilance redoublée. A l’étage, la salle de bain et son étal de produits de beauté forment un champ de bataille idéal pour assouvir la vengeance. Il y a sur le lavabo le déodorant aux senteurs si particulières, à la démarque si précieuse de l’adolescent, sa propre odeur sortie du creux du flacon comme élixir de son identité. Il y a aussi dans la douche, pendu au robinet, l’autre face de l’égotique hygiène des jeunes corps : le gel douche ou le shampoing aux essences de fruits rares, qui donne l’effluve avatar de la propreté, odeur conquérante sans commune mesure avec celle du banal produit bon marché qui sent l’œuf. - Où est passé mon Fructis ? La colère et le dépit s’entendent dans la voix criarde et muée de l’ado blessé, les yeux révulsés sur le flacon vert et vide de son précieux qui flotte dans l’eau du bac de douche.

Puis de guerre lasse, la trêve sera admise, tacite mais sans armistice de prononcé. Simplement, le pas de la vie reprendra sous l’impulsion de la maman médiatrice. Rien ne sera oublié pour autant, le cadavre métallique du coca et l’étiquette décollée du Fructis resteront dans les mémoires, bien harnachés et portés au bilan de l’un et de l’autre, en déduction non négligeable de leur capital confiance. L’écueil sommeillera, la bataille ressurgira un jour pour alimenter une autre lutte. En attendant, ils s’aimeront sans se le dire, mais leurs yeux espiègles dans les regards échangés et les attentions dont autour ils témoigneront ne tromperont personne.

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