Jen W. : Les montagnes russes - Miriam Ray

9.3.12

Après Kwetch, première auteure invitée à écrire ici en dehors des vases communicants, fut-il.net accueille aujourd’hui la première partie d’un texte écrit par Miriam Ray, galeriste d’art reconvertie (sic), accompagné d’une illustration de son talentueux ami et artiste Richard Bougon. Seconde partie dans quelques semaines. Merci à eux d’avoir accepté cette invitation.
Les montagnes russes
Gribouillages - Richard Bougon Je viens de casser 3 verres. Coup sur coup sur coup.
Existe t-il, sur cette putain de terre, un endroit où ça porte chance.
Je m’appelle Jen W. et je carbure à l’alcool et à l’espérance. Deux addictions tenaces.
Depuis quelques temps, mon corps tout entier n'est plus qu'une énorme pompe à -mauvais- sang. Mon souffle est trop court ou trop long. Je ne sais plus, il m’étouffe. Je suis forcée de contracter mes cuisses pour empêcher mes genoux de trembler, et de raidir le dos pour freiner le balancement saccadé de mes épaules.... Je me fige tout de même un sourire !
Je m’amuse de mes déboires. Je m’amuse, de surcroît, à avoir froid. Je me mets face à la fenêtre ouverte. J’ai froid. Parfois j’aime ça. Quatre étages plus bas, il fait doux, le soleil cogne. De ma fenêtre, je le vois colorer l’immeuble d’en face. Mes bras sont marbrés, mes tétons tendus, douloureux. Je m’en amuse.
Je brouille les pistes. Plus moyen de savoir de quoi je tremble.
Il faut dire que ma vie est très touffue. Elle est touffue de mes amis, mes amours et mes emmerdes. Et dieu sait que j’en ai.
Peut-être n’avons nous que la vie qui nous ressemble. Je devrais songer à m’épiler plus souvent.
Je suis parfois saisie d’une folle envie d’expériences toutes aussi folles.
Il y a les expériences que l’on choisit dont celles où l’on apprend à ses dépens que la curiosité est un vilain défaut, si toutefois il en existait de jolis.
EXPERIENCE N°1
J’ai un cuit-vapeur. Jusqu’à lors je ne m’en étais jamais servi que pour vaporiser les légumes que je n’avais appris à aimer que très tardivement. Et quand je dis tardivement c’est un euphémisme ; quand je dis aimer, c’est un peu du sarcasme. Je les ai plus découverts et m’y suis habituée, tant et si bien que mon corps s’est mis en tête de me les réclamer.
Depuis, je crains le jour où il lui prendra la lubie de se mettre en pied d’exiger un jogging hebdomadaire.
Un corps capricieux, est-ce bien raisonnable ?
J’ai toujours pressenti que le cuit-vapeur ne m’avait pas dévoilé tous ses secrets. Il était ma lampe magique. J’ai eu beau le frotter, il n’a jamais fait que cuire des légumes.
Mais alors à quoi riment tous ces creux et ces bosses et ces interstices?
En réalité, à l’instar des meubles Ikéa, il suffit de prendre le temps de lire le manuel d’utilisation pour découvrir que les milliers de nids à détritus ne sont pas tous destinés à combler le sadisme des designers.
Mon cuit-vapeur fait aussi cuit-œufs!
Je venais de disposer les œufs dans les emplacements prévus à cet effet et de lancer la minuterie -c’est magique- lorsque je me suis retrouvée à accepter un ciné plus compliqué à organiser qu’un sommet du G8. Epuisée, j’abandonne mes œufs à mon kit de mécano.
Un long moment après la séance, mes pupilles résonnent encore. Des millions de foulards noués les uns aux autres agitent encore leurs couleurs autour de moi. Je suis ivre de l’arc en ciel. Je suis secouée. Les minois des petits indiens me sourient encore tandis que la moiteur et la poisse inondent encore mes hauts-le-cœur.
Il fait bon. Des avant-odeurs de printemps. Je ne suis pas sortie de toute la journée. Je n’aime pas ça. J’étais tendu et impatiente. J’ai eu beau jouer avec le froid, j’ai passé la journée à m’agiter dans mon inertie. A se battre contre soi même, on est sûr de toujours prendre des coups, on en sort toujours amochée. J’ai pourtant essayé d’aligner les mots qui emporteraient un peu de ma peine. Rien. Rien qu’une vanité à propos de la vanité.
« Vanités
Ecrire pour expier , exorciser.
Vanité, nullité, vacuité et mon cul en prime.
Croire qu’on écrit par nécessité. Penser que la grandeur des moments de vie convoque l’urgence d’écrire, la beauté du geste.
En fait, n’écrit-on pas plus parce que l’on a des choses « à écrire » que simplement parce que l’émotion ressentie est si forte qu’elle se suppose noble, spéciale, unique.
Mais au fond, quoi de plus éculé que l’essentiel des expériences, de plus banal que « faire face à la vie » ? Où se situe l’originalité de toutes ces noyades dans les abîmes de mono-réflexions tourbillonnant autour de la conciliation impossible de ce que l’on pense avoir été rêvé pour soi, ce que l’on peut accomplir, ce que l’on a soi même rêvé…
Histoire de l’humanité.
Vanité.
Qui peut prétendre sortir indemne d’un examen de la banalité, quand ce n’est pas de celui de la vacuité de sa vie.
Reste le talent de l’exprimer.
Les génies musicaux le sont moins pour ce qu’ils avaient à exprimer que par le talent de le faire savoir mieux, plus brillamment que les autres.
Ainsi, que reste t-il pour le commun des mortels ?
Le préalable inconditionnel consiste à faire le deuil de tout rêve de grandeur. Travail d’humilité. De mortalité.
Admettre que ce que l’on a vécu ne vaut rien de spécial, rien de remarquable en dehors de soi ; soi où en revanche il vaut TOUT.
Reconnaître que ce qui vaut en dehors de soi, ne peut-être que le génie qui s’applique à le bien diffuser.
La pire des épreuves enfin, se résigner à ce que l’on ne possède pas ce génie qui rend extraordinaire toute vie, fut-elle ordinaire.
C’est la mort. »
Tout est humide pour convaincre que le poète et la rosée du soir existent. La nuit, on remarque des détails qui échappent à la lumière franche.
Il est minuit et le bouillonnement de mes pensées a chassé la grosse fatigue qui me pliait quelques heures auparavant.
Arrivée place Saint Côme, je suis saisie par la puissance de la petite église Saint- Roch qui se cache derrière l’angle du bout de la rue.
Plus loin et en enfilade de mes pas, la rue des Tessiers ferme boutiques dans un brouillard d’une épaisseur londonienne qui, par intermittences, provoque l’église de ses langues puis se retire.
Sale gosse.
Je me dit que c’est beau. Je me dis que j’ai le cœur gros. Mais le cœur plein. Je me dis que c’est beau la brume qui ressemble à de la fumée. Je me dis que ce n’est pas du brouillard. Je me dis que la rue au fond en enfilade de celle dans laquelle je suis, ne ferme pas. Que l’agitation n’est pas celle de cafetiers las d’un lundi peu rentable. Je lève les yeux vers la façade en trompe-l’œil. Je pense que les lapins, surtout lorsqu’ils sont roses, devraient dormir à cette heure-ci. Je me dis que la brume ne s’accompagne que de châles pour les épaules et de volutes pour les yeux. Je me dis que le lapin que je connais et qui est rose est amoureux. Il pourra bien dormir dans une autre vie. Je souris.
Je me dis que la brume ne s’accompagne jamais de flammes.
Rougeoyantes. Tournoyantes. Fascinantes. Inquiétantes cependant.
Je sais que ça peut être merveilleux une flamme. Pas celles-là.
Je me dis que j’aurais du payer mon assurance.
Je ferme les yeux. Je me dis que la curiosité est une tare.
Et puis quand tout a brûlé, il y a les expériences-surprises qui nous transportent un jeudi à Bamako.

A suivre : “Jen W. : Les montagnes russes – Expériences 2 et 3”

Texte : Miriam Ray - Illustration : Richard Bougon, ses galeries : BoîtesArmée - Gribouillages

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