Emoticônes

9.5.15

_Bonjour mon cœur. Emoticône Cœur rouge. Emoticône Poussières d’étoile.

Toujours, on commence nos sms par Bonjour. Le Mon amour n’est pas loin, varie sur Mon cœur. Ajustée de tendresse, douce en bouche, c’est l’écriture intuitive des mots : le téléphone écrit tout seul, il suffit de glisser les doigts sur le clavier. On continue par le temps, celui qu’il fait dans le ciel, celui qui nous sépare. Les jours sans nous sur l’écran se déplient, gris moche ou lumineux selon la pression atmosphérique du manque. On remplit le vide. On écrit l’absence. On la dit pleine de nous, on s’aime en quelques caractères sur fond bleu et en répétitions d’émoticônes : des cœurs aux contours parfaits, des lèvres nourries en silicone pixélisé. Encore des cœurs, des rouges en enfilades – juste des cœurs alignés par dizaines qui remplissent des séries de messages sans mots, des cœurs d’amoureux qui traversent la distance, s’installent dans nos vrais cœurs, dans nos têtes, dans nos corps, dans nos âmes en vertige.

_Bonjour. J’ai envie de toi. Emoticône Cœur rouge. Emoticône Clin d’oeil
_Moi aussi. Emoticône Cœur rouge. Emoticône Langue pendante et mutine. Emoticône Désir. 

Toujours l’envie de nous qui enroule nos vies séparées. Le clavier s’affole, les mots s’attachent aux photos envoyées à l’adrénaline, prises sur le vif ou léchées et muries par le désir. Nos corps – l’absence de nos corps : on écrit la chair, on dit le sexe, doux et cru. On se fait l’amour à l’écran. Pas d’émoticônes suffisantes pour s’exciter, la bluette s’évapore et animaux les mots imitent les voix, singent les corps, les sexes qui se boivent – infiniment plus que tout. On se dit durs et mouillés. Plein de nous. La passion gicle en râles sur l’écran, nos corps en ébullition. Nos doigts deviennent malhabiles, ripent sur l’écran tant ils sont occupés à braver la distance sur nos sexes. Emoticône Diablesse et Emoticône Cœur rouge pour étreindre la frustration. 

_Bonjour Emoticône Cœur rouge.
_J-5 Emoticône Sourire. Emoticône Clin d’oeil. Emoticône Désir.

Toujours, on compte les jours. On se le dit. On écrit le compte à rebours. Il faut compter, se dire le retour des corps, se fixer la date des retrouvailles lumineuses. On s’habille de mots pour panser les ventres qui grondent du manque, pour soulager nos entrailles brisées par l’absence des bouches. Emoticône Baiser qui envoie un cœur rouge. Les mots crient, s’écrivent en capitales, hurlent au stupre en crevant l’écran. On se prépare avec dans la tête les nuits de souffre, nos téléphones éteints sur la table de nuit. On s’ouvre au lendemain du lendemain du lendemain, le jour J en ligne de mire. On reflète sur l’écran nos corps entrelacés, nos bouches jointes et nos sexes encollés à la sueur des mots. 

_Bonjour Emoticône Cœur rouge. Demain. Demain. Demain. Emoticône Grand sourire. 
_J-1 Emoticône Sourire. Oui. Oui. Oui. Emoticône Clin d’oeil. Emoticône Désir. Emoticône Grand sourire.

Le temps bavasse entre les messages, se traîne et on le maudit d’être aussi lent que ce que le réseau accélère en nous – particules qui filent entre les ondes aussi vite que la lumière alors que lui nous nargue de sa précision, nous tanne d’exister à son rythme. On se répète les mots, litanie de désir sur fond bleu. La parole nait entre les messages. Le silence est mort à ainsi traverser le temps. La voix s'approche, chaque mot, chaque Coeur rouge, chaque langue pendante, envoyés ad libitum chargent nos libidos d'électricité. Emoticônes à l’unisson. On crève l’écran. Putain ! On est beaux et on se le dit. Le temps n’a qu’à aller se faire foutre avec nous.

Jour J. En mode avion. 


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