On fait la Scopa

7.6.15

C’est une maison perchée en campagne. Ses habitants ont les cheveux blancs et la bonté au cœur. Un homme et une femme. Qui jouent à s’aimer depuis des décennies et y parviennent. Ils jouent. Comme des enfants, le sourire à pleines dents, la tête en futaie. Ils se moquent de leurs corps fatigués à l’aide de larges rictus qui masquent la douleur. Sur les escaliers en raide paroi, ils trouvent toujours à plaisanter - ça leur permet de souffler un peu, main dans la main, avant la dernière marche. Sur les maux du corps, ils n’usent d'aucune complainte. Dans leurs têtes, le bonheur s’est installé, personne ne peut le déloger.

Pépé C. et Mémé A. s’aiment d’un amour tendre. Leurs petit pas sur le pavé tirent des larmes au mur affecté de la cuisine. Pépé fait la vaisselle. Essuie et range. Frotte et dépoussière. Mémé lit les magazines ou le journal local et le taquine. Une main aux fesses de son mari pour qu’il accélère le train. Il aime ça et continue en chantonnant dans sa barbe des ritournelles italiennes. Non, pas italiennes mais bergamasques. Il y tient. Bergame, terre de souvenirs, creuset de leur amour. Lieu de la flamme qui danse encore sur le seuil de la porte.

Noël, Pâques, la Pentecôte ou tout autre fête sont des prétextes à venir les célébrer. Autour de la table, l'eau du café dans la machine italienne est suffisamment montée. Elle se dissipe dans l'air comme une infusion d’eux. Pépé C. et Mémé A. se mélangent à l’odeur du café naissant. Ils sont toujours comme des bons matins de beurre tendre. D’une main tremblante, Pépé sert la tablée dans des mazagrans en gré. On se réchauffe les mains et les regards autour du breuvage. Mémé chausse ses lunettes et enfile son œuf à couture dans un collant troué. 

La collation bue et quelques spéculos sous la langue, c’est l’heure de la Scopa – jeux de carte italien. Non, bergamasque pas italien. Pépé jubile, Pépé joue, Pépé est un enfant aux yeux et à la peau fripés. Il balaye sa tête, fouraille ses longs cheveux blancs. Son meilleur visage en don, il ressemble à un Einstein qui aurait découvert la formule du bonheur. Mémé pousse un regard amusé sur son mari. « Il dit et fait n’importe quoi », dit-elle. Et elle range son collant rapiécé dans une petite armoire sous la télévision. Allez, on fait la Scopa !

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