Jour 5-6 – Lacanau, Saintes, Nantes, Orléans, Paris #roadtrip #TFV #LesVisages

1.8.15

La pluie fine à Lacanau Océan dès le réveil, un dix-huit degrés qui réveille et une nuit seul à apprécier les rencontres passées ces quatre premiers jours. De l’émotion aussi à la lecture du billet de Dominique Boudou. Elle me tire au matin un sourire avec quelques sanglots dans la gorge quand je relis les mots bienveillants de cet auteur qui me touche tant. Je remballe ma sensibilité dans la trousse de toilettes et reprends la route à treize heures après avoir pris quelques embruns d’océan près du Kayok, restaurant surplombant la plage. 
Arrivée à Saintes en milieu d’après-midi où je rejoins Rose dans son charmant appartement lumineux. Un café et la discussion s’anime, légère et insouciante. Au mur, une photo de mains en noir et blanc attire mon oeil. Un artiste que connaît bien Rose, de ces artistes d’un autre temps, amis des stars des années cinquante et soixante. Rose me parle avec émotion de Gérald Bloncourt, me montre ses livres de photos, me dit combien l’amitié de ce désormais vieux monsieur compte pour elle. Comme moi, elle semble (re)découvrir ces années-là par des clichés surannés. Cette mémoire en noir et blanc, ces personnages célèbres ou anonymes qui par le talent du metteur en boîte argentique, nous font revivre des instants magiques. Nous n’éviterons pas le sujet qui la touche en ce moment, au plus près de son intimité. La maladie doit être un sujet dont on parle, avec simplicité et sans emphase. Elle m’écrira quelques heures plus tard qu’elle m’a trouvé les traits tirés, fatigué. Que dire de cette bienveillance quand on sait ce qu’elle a traversé et traverse encore. Rien mais avec plein de cœurs enrobés de rhubarbe. 

Fin de soirée sur la route, j’ai des crampes au mollet droit comme un sportif qui ne se serait pas assez échauffé. Pourtant je suis chaud, bouillonnant de bonheur mais aussi empli de l’intime que les visages et leur histoire me laissent dans tout le corps. J’arrive au Pallet près de Nantes vers  vingt-et-une heures. Pas besoin de sonner à la porte, deux molosses au jappement affolé se chargent d’annoncer mon arrivée. Jany vient m’ouvrir et parque les chiens dans son salon pour éviter qu’ils ne me bouffent. Je ne le montre pas mais les crocs pointus et pointés vers moi me flanquent une trouille qui me sort rapidement de la léthargie de la route. 
Les chiens me sentent partout, lèchent mes mains et nous faisons connaissance tranquillement. Très vite, ils m’acceptent comme Jany et Jean-Michel qui à coup de Grinbergen et de Muscadet brisent une glace qui n’a même pas eu le temps de prendre. Nous devisons sur nos vies, nos parcours professionnels et rapidement la Bretagne s’invite à notre table. Par la grand-mère bigoudène dont la présence est palpable dans leurs têtes comme dans leurs cœurs. Elle s’invite à notre table par l’entremise d’une photo que va chercher Jany dans, j’imagine, sa chambre à coucher. Elle me montre cette vieille dame qui me rappelle ma Mamé Marie. Même posture droite et même austérité qu’un sourire ouvert contredit. Elle passera le restant de la soirée avec nous comme une vigie, un aïeul en veille. Les verres de muscadet s’enfilent dans les gosiers et en guise d’entrée un bol de bigorneaux vient faire de l’oeil à la grand-mère. Je suis d’une maladresse grotesque pour dépiauter ces bestiaux, ce qui provoque l’alacrité et la moquerie de Jany. Une photo publiée sur facebook se chargera d’immortaliser cet instant de communion dans le rire. Nous nous couchons très tard, après une tisane somnifère qui me fera embrasser Morphée du bout de lèvres sans que je n’en goûte le plaisir. 
Merci Jean-Michel http://almacorda.com/ (joueur de mandoline qui fera l'objet certainement d'un billet, plus tard)

Après un réveil difficile et une matinée douce à papoter avec Jany de son écriture et de son recueil (Avec dessus dessous chez Gros Textes), je taille la route vers Nantes à la rencontre d’Anne. Nous déjeunons à la cantine du voyage (ça ne s’invente pas !) en échangeant nos vies comme une balle dans une partie de tennis. Le temps compressé qui m’est imposé par ce périple fou nous pousse à la synthèse et par là-même à l’important. Je fais à nouveau un plein de vie entre une bière et une cuisse de poulet. Je raccompagne Anne sur le quai des Antilles sur l’île de Nantes, l’aide à mettre son sac lourd d’une unité centrale d’ordinateur qu’elle vient d’acheter et la regarde s’enfuir à vélo à un train d’enfer. 

Il est quinze heures et j’ai encore prés de quatre heures de route à faire pour rejoindre Orléans et Michel Brosseau. J’essaie de l’appeler deux ou trois fois mais je n’arrive pas à le joindre. Un instant, je pense à l’incertitude de la nuit à venir. Il m’a oublié, peut-être. Je devrais réserver un hôtel au cas où il me ferait faux bond. Puis je m’aperçois que le numéro que m’a donné Michel est un numéro de téléphone fixe et qu’il n’est certainement et tout simplement pas chez lui. Je prends la route vers lui en me disant que je rappellerai en début de soirée, heure où tout un chacun rentre chez lui. 
L’autoroute est longue et je m’arrête fréquemment. J’essaie d’imposer de la lenteur à l’autoroute mais elle n’en fait qu’à sa tête en me poussant toujours plus loin, en m’empressant de quitter chaque lieu que je voudrai investir. J’arrive néanmoins à lire Cortazar et Dunlop sur une aire de repos et j’entrouvre des portes passerelles avec ma fafnerito, petite sœur de fafner le combi Volkswagen avec lequel Julio et Carol ont traversé de long et surtout en large l’autoroute qui mène de Paris à Marseille. Je suis un autonaute plus de trente après le périple de la cosmoroute et cette lecture me ravit. Au revers d’une page, Cortazar tente de sortir de l’aire, de ce lieu fermé sans autre issue que le sens de la route. Il y parvient mais à pied et il évoque la transgression enfantine, celle là-même que je sens en moi depuis le début du voyage. Une maison fermière au bout de mon aire invite à cette même infraction : la rejoindre en enjambant les petites haies d’arbustes malades de la pollution est chose facile. Ce sont les seules barrières entre ce lieu soi-disant clos et moi. Je ne le ferai pas, je préfère que ce soit plus tard, plus loin sur une autre aire quand Julio et Carol décideront de m’y inviter.

Vingt heures trente et j’entre dans St Jean de Braye. La voix féminine du GPS est poussive à moins que ce ne soit mes oreilles qui ne supportent plus cette parole lancinante sans aucune modulation de fatigue. J’aimerais parfois qu’elle épouse mon état du moment, ma plénitude comme ma lassitude. Je me gare dans la rue de Michel. Je chercher le 82 mais il n’existe pas. Je saute du 80 au 84, laissant le 82 dans un trou noir. J’appelle au secours avant de tomber dans une faille temporelle et, Ô miracle, Michel apparaît pour combler la numération manquante et le vide qui commençaient à s’emparer de ma tête. J’entre et fait connaissance des lieux et d’Isabelle, sa compagne. Je reconnais Michel comme un des miens, un de ses taiseux qui timidement se font à l’autre et à la parole. La soirée passe à une vitesse vertigineuse si bien que je décroche un bâillement gênant à minuit passée pensant être un inconvenant invité qui affiche sa lassitude dès l’apéritif. De la musique, des disques vinyle, de la littérature qui se fait et l’évocation touchante de la rencontre de Michel avec Julien Gracq, tout cela et encore plus nous mènent jusqu’au repas fait de bonne barbaque bienvenue et, la nuit déjà bien allongée, je me couche avec elle dans un esprit remué d’amitié.  
Le lendemain, nous passons un moment agréable et bucolique au bord de la Loire. Isabelle nous observe comme des écrivains que Michel et moi ne voulons pas être. Elle s’interroge sur nos humilités renversées, sur le « taire » de nos travaux respectifs. Nous évoquons une nouvelle fois la mémoire, le souvenir que le lieu distille dans les frondaisons et sur le souffle sourd qui balaye les herbes hautes. Revenus chez Michel, il m’offre son livre Entre-deux édité chez La Gidouille tandis qu’Isabelle me montre un de ses dessins-portraits d’hommes noirs aux lèvres gonflés et parfaitement réussies. Je suis touché par le cadeau et par le talent caché d’Isabelle. Je prends congés vers treize heures. J’ai envie d’écrire et de rejoindre Julio et Carol dans leur aire de repos.
Merci Michel et Isabelle. http://www.xn--chatperch-p1a2i.net/spip/

Je roule vite, trop vite. Je suis pressé de me poser, pressé d’écrire de peur d’oublier l’essentiel. J’ai faim aussi. Je m’arrête à la première aire. Elle est bondée de gens qui zigzaguent dans tous les sens. Ça me donne le vertige. Je fais la queue une vingtaine de minutes pour un pauvre sandwich et une bouteille d’eau. Je n’ai qu’une hâte : sortir de ce bouillon de gens trop bavards, trop touristes. La prochaine aire sera la bonne. De ces aires sans aucun commerce, simplement le nécessaire, des toilettes et des bancs sous les pins. Je suis bien et m’installe à une table en pierre pour déjeuner et écrire. C’est sans compter sur une intruse qui, alléchée par la mayonnaise, s’est planquée dans mon sandwich pour sortir juste au moment où je croque dedans. Piqure d’abeille ou de guêpe - je ne sais - à l’intérieur de la lèvre et gonflement instantané m’ont obligé à quitter l’autoroute pour gagner la pharmacie la plus proche à Artenay.  Un antistaminique et un relent d’hypocondrie plus tard, je reprends la route vers Montreuil et Christophe Grossi, frustré de ne pas avoir écrit. 

J’arrive chez Christophe vers dix-sept heures, la lèvre en dégonflement et un léger mal au ventre. Il me trouve fatigué par la voix qui l’appelle au téléphone pour chercher son chemin. Je le suis, fatigué, mais heureux de revoir Christophe trois ans après notre première rencontre lors de l’édition du salon du livre de Paris. Christophe et Christophe réunis. Souvent je pense à lui comme à un frère d’écriture et bien que nos inspirations soient différentes, avec lui aussi, est présent ce qui nous lie : l’impérieux besoin de saisir les strates du temps et de la mémoire. Il a désormais la même barbe blanche que moi bien qu’elle soit mieux coupée. Ma coquetterie est jalouse. Je le trouve agenouillé derrière sa fille à lui faire de petites couettes et un chignon d’amour dans les cheveux. Ils sont émouvants tous les deux, là, à toucher l’infra-ordinaire comme le nomme Christophe. Christophe est beau jusque dans ses gestes et ses paroles qu’il me distille avec douceur. Nous sortons au parc près de chez lui, ce même parc où il va tous les jours avec sa fille et dans lequel il cueille des instantanés postés sur Instagram. C’est sa matière à écrire, sa pâte à dire. Il reprend régulièrement ces clichés ordinaires, sous-ordinaires, pour les publier sur son site deboitements.net mais avec un an voire un an et demi de décalage pour rapport à la capture initiale. Ce que donne à voir Christophe pour lui et le lecteur forme un kaléidoscope du temps qui s’écoule dans le sous-bassement de nos vies. 
En fin de journée, nous retrouvons Catherine, sa compagne, tout sourire, parisienne enjouée que je suis ravi de rencontrer. Je mesure l’accueil car je sais pour Christophe l’intime précieux et à préserver. Après un Tchaooo tonitruant du petit bout qui rythme leur vie, le rosé s’impose en pourvoyeur des langues et précède le dos de cabillaud savoureux. La soirée coule dans nos têtes aussi bien que le vin en partage amical. Les évocations sont nombreuses, la date importante, à la croisée des chemins entre Christophe et Christophe. Nous voyons des signes, la fin de de son congés parental, son départ précipité le lendemain vers Strasbourg, son roadtrip conté dans Va-t’en va-t’en c’est mieux pour tout le monde sorti chez Publie.net en 2011. http://deboitements.net/spip.php?article17
Le lien avec Christophe se conforte plus que jamais et pour clore cette première semaine, il ne pouvait être que lui.
Merci Christophe, Catherine et Bianca.

01/08 11h00 – Je suis attablé à un bistrot face à la place de la Bastille. C’est bruyant mais il est fait doux. J’ai trop bu de café et trop fumé. Mathilde Roux me rejoindra cet après-midi j’irai dormir ce soir chez Astrid. Beaucoup de gens à voir sur Paris. Le tour continue… 

  

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