Jour 7-8 – Montreuil, Paris #roadtrip #TFV #LesVisages

3.8.15

03/08 7h - Je sors d’une nuit à la belle étoile sur une terrasse en plein Paris, tout près de Montmartre. J’aurai voulu fictionner mon parcours, je n’aurai jamais pu inventer un tel moment. L’air est doux et sur les pavés, j’entends des talons qui claquent. Mon hôte toussote et sort de sa nuit comme on hisse un drapeau.

Le week-end une nouvelle fois a été dense. Samedi matin, j’ai déposé Christophe à la gare de l’Est. La partance est toujours délicate. Il va voyager vers Strasbourg, retrouver son fils et ses « Mi Ricordi ». Il écrira d’autres « Je me souviens » dans le train à moins qu’il ne capte en déplacement des grains d’instants pour alimenter la jauge de son instagram. Je l’embrasse devant une grille, Fafnerito en double file. Christophe aussi me double, souvent. Christophe et Christophe, une évidence. Il file. Je ne veux pas le quitter.

Je passe la journée à Bastille à écrire les jours 5 et 6 de ce tour, puis Place des Vosges où j’écrase une sieste d’une heure sur la pelouse fraiche. En fin d’après-midi, je trouve la belle Mathilde au bord du Canal de l’Arsenal de Bastille. Nous nous baladons autour du canal et je parle beaucoup de moi. Je fais la remarque à Mathilde en voulant me dégager de mes propos nombrilistes pour en apprendre davantage sur son parcours et je serai surpris qu’elle s’en offusque. Nous parlons littérature bien sûr, web littéraire évidemment mais aussi de ce qui me préoccupe, à savoir de l’intime que je reçois des visages à chaque passage. De l’intime à valeur et intensité variables mais à chaque entrevue prise dans l’étau du temps, apparaissent des confidences diverses qui sont d’habitude réservées, me semble-t-il, au plus proches amis. La question et les enjeux restent ouverts et c’est certainement mieux ainsi.
Nous flânons dans Paris et une vraie présence d’amitié circule entre les murs. Nous atterrissons sans vraiment l’avoir décidé à l’hôtel de Sens où se cache une magnifique bibliothèque. Malgré que l’accès soit réservé aux abonnés, nous obtenons sans rien demander l’autorisation de visiter. Il semble que notre parcours non balisé soit totalement ouvert devant nous, et que rien ne puisse vraiment l’empêcher d’exister. Nous terminons cette entrevue rapide autour d’un Vittel fraise et d’un Perrier tranche (à lire avec l’accent du sud ; veuillez bien appuyer sur le phonème en AN). Le Vittel fraise de Mathilde qui en fait est un Evian nous fait sourire de par son côté enfantin et suranné. Je quitte Mathilde devant le parking où se repose Fafnerito depuis huit heures le matin. Dans les yeux de Mathilde, une émotion perceptible. Je cache la mienne pour ne pas me laisser déborder. Nous nous promettons de se revoir très vite. C’est de l’allant sincère mais nous savons tous deux que l’implacable distance géographique qui nous sépare demeurera un frein.
Merci Mathide

Je roule dans Paris et la place de la Concorde dans son immensité m’angoisse autant qu’elle me ravit. Ce large cercle pavé autour duquel un troupeau de voitures s’apprivoise est aussi beau qu’un ballet équestre. Les sabots pneumatiques claquent sur le pavé et me secoue de l’intérieur alors que dans le coffre de la voiture tintent les bouteilles de vin - offrandes à mes hôtes futurs. Vingt minutes de slalom géant dans les artères de la capitale et me voilà au pied de l’immeuble où habite Astrid. A peine arrivé, je la vois surgir – robe rouge – dans la rue. Elle est étonnée de tomber ainsi sur moi. Premier croisement de regards dans un sourire. Je stationne Fafnerito et la rejoins. Je me trompe d’étage, erre un instant dans l’attente qu’elle m’ouvre la porte. Aucun nom sur les portes pour m’indiquer sa présence et je finis par comprendre qu’elle n’est pas au second étage mais au troisième. 
L’appartement est beau et large, décoré avec goût. Je m’y sens bien dès les premières secondes. Sur la terrasse, je découvre la vue des fenêtres. En exergue, ses textes courts publiés sur facebook, je me rappelle. De ses fulgurances qui vous emportent, l’imaginaire en miroir. C’est excitant de découvrir les lieux où la création se fait, de côtoyer les murs qui ont vu se clore Topolina et d’autres textes de l’auteure. 
« Le vieil homme du premier est parti. Ses beaux et lourds rideaux blancs sont fermés, reste une petite fente ouverte sur le noir. Il n'est pas assez vieux pour que je ne pense pas qu'il est parti en vacances, les gens qui ne travaillent plus s'en vont aussi. Pourquoi alors cette petite angoisse de me dire et s'il ne revenait pas ? Le soleil tape fort, il est blanc, sauvage dès le matin - ça doit être pour ça.
(Vue de ma fenêtre) »
Astrid Waliszek - statut publié le 01/08/2015
Nous faisons connaissance et la parole est fluide, les sourires larges. Elle me présente Ellie, son fils. Je trouve un jeune homme pareil au mien, quinze ans et du rêve plein la tête. Il joue à des jeux en ligne, beaucoup (trop, sûrement) comme nombre de jeunes gens de son âge. Encore une similitude avec mon fils, accroché à ces mondes parallèles, univers paradoxalement très factuels et qui offrent une évasion enviée, celle-là même que l’adolescence peine à trouver dans la réalité. Astrid et Elie sont beaux ensemble. Je redécouvre l’handicap d’Elie que j’avais étonnamment oublié. L’autisme me fait face et je le prends comme il est, sans intellectualisation ni gêne. Elie est mon fils. Mon fils est Elie. La preuve, ils jouent tous les deux à League of legends.
Nous dinons tous les trois puis laissons Elie défoncer sa souris pour rejoindre Montmartre. La nuit et Astrid sont douces. Je suis bien dans ce décor de carte postale. Astrid m’en extirpe en me faisant découvrir SON Montmartre. Les lieux rencontrés et racontés par ceux qui les vivent sont bien plus intéressants. C’est une évidence à laquelle j’accroche une nouvelle fois mes wagons. Le train est rapide, les verres de l’amitié nombreux. Elle aborde les gens avec une telle ferveur que j’aime à me décaler pour l’observer. On lui décoche des sourires amples, des accolades généreuses. C’est la princesse de Montmartre ! Le vin blanc est frais et ma tête chauffe. Nous essayons de compter les verres mais même le lendemain le dénombrement reste flou. Comme les verres, au bar ou attablés, nous enfilons les sujets les uns après les autres sans programmation ni séduction exagérées. Je suis juste bien et heureux avec elle dans un Paris qui d’habitude m’affole par sa pesanteur et la multitude de ses visages. 
Nous rentrons tard dans la nuit et je me couche au côté d’Elie. Il dort à poings fermés. Même s’il ne peut pas m’entendre correctement, je reste à pas feutrés pour ne pas le réveiller jusqu’à atteindre mon lit dans lequel je m’écrase dans un relent aigre doux d’alcool.
Le lendemain, la grasse matinée me tiendra lourd sur ma couche jusqu’à neuf heures. Le soleil a déjà envahi la terrasse et les fenêtres d’en face ne se voient qu’en aveugle, une main au-dessus du front. Il y a toujours un mouvement derrière les rideaux qui appelle Astrid à l’attention. A plusieurs reprises, elle lâche des regards et m’invite à la rejoindre dans sa rêverie. Rêverie qui devient vite fiction, carburant de son écriture. Je repense à Christophe Grossi et son infraordinaire modelé en fragments. Astrid travaille la même matière mais la façonne en mini-romans (vue de ma fenêtre) laissant au lecteur le loisir de les déplier en œuvre imaginaire.
Nous sortons en fin de matinée pour prendre le petit-déjeuner au TERRASS HOTEL. La vue de Paris depuis la terrasse du septième étage est somptueuse. Elle pourrait couper le souffle ou je pourrais l’affubler en métaphore pompeuse comme le toit du monde, mais ces expressions aussi convenues et explicites qu’elles soient ne peuvent pas exprimer toute la splendeur du point de vivre que j’éprouve. Nous avons raté le petit-déjeuner servi uniquement jusqu’à dix heures trente (le temps, cet insaisissable, nous file entre les langues) mais que cela ne tienne nous y reviendrons le lendemain en prenant soin de changer la couleur de la robe d’Astrid - si coquette lady au point d’enchainer les hommes à la terrasse et à la teinte de ses toilettes.

En milieu d’après-midi et après une rapide sieste, j’enfourche Fafnerito pour trouver André et Monique à « l’écritoire », place de la Sorbonne. André arbore un polo jaune qui me fait garder mes lunettes de soleil malgré les ombres douces qui caressent notre table. Nous nous saluons d’une bise confraternelle, avec à nouveau l’impression que nous sommes des inséparables au sens volatile des perroquets du sud de l’Afrique – et rapport aussi certain avec la couleur du polo. 
Monique nous rejoint quelques minutes plus tard, lunettes cerclés de rouge ou d'orange et discrétion quasi-muette tant débrayer la logorrhée d’André apparaît comme un travail de forçat. Cet homme est touchant de sensibilité et de culture, son verbe est haut et haletant. Je l’écoute religieusement même si parfois, à la faveur d’une bière assommante, je le perds dans les interstices subtiles de son raisonnement. J’apprends entre autres choses qu’il va enfin être publié chez publie.net en numérique et impression à la demande (dès septembre me dit-il). J’en suis ravi pour lui qui n’avait de cesse jusqu’alors de se poser des questions existentielles sur son écriture et la publication éditée. Monique est tout aussi heureuse de cette nouvelle et sa complicité ancienne avec André ne semble pas souffrir de cette monopolisation de la parole. J’étais venu pour l’entendre et l’écouter, cela a été amplement le cas. Monique évoque les blogs avant Facebook et Twitter. Elle a arrêté toute publication internet depuis et la nostalgie de cette époque, aussi récente par le temps qu’elle nous semble éloignée au regard des mutations rapides du web et du web littéraire plus particulièrement, cette nostalgie donc, nous renvoie naturellement à parler du regretté Dominique Chaussois, Pluplu du blog Depluloin pour les extimes, artiste et auteur magnifique fort en loufoquerie et présence affable sur le web. http://jamais-de-la-vie.over-blog.com/
Je quitte André et Monique en fin d’après-midi pour retrouver Astrid et Elie. 

Un rendez-vous prévu le soir sera annulé et nous passerons une seconde soirée tout aussi agréable que la première en évitant de remonter à Montmartre où, il faut se l’avouer, il pleut du vin blanc comme s’abattent les rayons du soleil sur cet été magnifique. Après un verre rapide en ville, nous retournons sur la terrasse, sur MA terrasse. MA terrasse : Quand j’aime, je vire vite les pronoms indéfinis pour les rendre possessifs. D’ailleurs, l’évocation de dormir à ciel ouvert en face des fenêtres passe vite de son état hypothétique et enfantin à la réalité grâce à deux coups de mains habiles d’Astrid qui transforment le canapé en lit douillet. Un oreiller et une couette compléteront le théâtre de ma nuit.
Quelques lignes des « autonautes » et je m’endors aussi vite que la veille malgré le bruit des véhicules sur les pavés et l’air frais qui s’engouffre entre mes orteils. La nuit sera néanmoins peu agitée malgré un réveil bien avant le soleil. Je retrouve alors mes habitudes matinales à fortes doses de café et de Twitter par la tête #parlatete. https://twitter.com/hashtag/parlatete
J’apprécie la maison hôte endormie. L’intime affleure mais ne me blesse pas. Je suis de passage, en dedans quelques heures pour juste en effleurer l’instant.
Astrid me rejoint vers huit heures, réveillée comme un seul homme. Je sais pas là, je sais pas là à ce moment précis, combien cette femme est femme. Nous reprenons notre discussion toujours en inspiration et observation des fenêtres : le petit chat noir malingre qui glisse sur les bordures, l’homme torse nu qui fait lâcher un petit cru aigu à Astrid, les jeunes tourtereaux qui quittent la fenêtre pour s’embarquer dans un beau et ancien cabriolet pour une semaine de route et cabrioles folles.
Fin de matinée, nous réussissons au quart d’heure prés à ne pas louper la fin du service au TERRASS HOTEL. Un petit-déjeuner continental pris entre deux paroles qui s’intiment et l’envie de ne plus partir me reprend. Rester à Paris dans un tel cadre tient du rêve. Le tirer à soi trop longtemps pourrait le casser. 
Je salue Elie réfugié dans sa chambre. Il se tourne vers moi avec son sourire à lui et ses mots ceignant l’air: « Salut. Ferme bien la porte s’il te plait. » Mes sacs sont prêts. Je tourne un instant dans l’appartement pour voir si je n’ai rien oublié mais je sais que c’est simplement pour retarder le départ de quelques minutes.
Astrid m’offre une belle accolade comme celles qu’elles dispensent aux gouailleurs de Montmartre. Nous échangeons nos gentillesses et nos solitudes heureuses et je prends l’ascenseur le cœur lourd d’une nouvelle amitié.
Merci Astrid.
Merci Elie.


03/08 - Il est 16h00 sur l’autoroute A4 comme ailleurs mais depuis le départ, il me semble que les aires d’autoroute sont des espace-temps définis, des îlots de réalité où je retrouve le rythme des journées et que, le reste de ce temps parcellaire, les visages et les lieux que je rencontre sont ailleurs, plantés dans l’emballement et l’émotion d’une humanité fantasmée.
Je suis attendu à Metz chez Cathy pour la fin de la journée

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