M'dame Boyer

19.4.16

C’étaient les premières notes de « vive le vent » fausses et mal assurées. C’étaient les gesticulations du chef d’orchestre, madame Boyer, notre professeur de musique – vieille fille disait Maman et moi qui croyais qu’on l’appelait ainsi parce qu’elle était assurément la fille la plus âgée de l’école.

C’étaient les odeurs rances et poussiéreuses qu’elle dégageait lorsqu’elle parlait trop près de nos nez et les rires qui fusaient quand elle postillonnait sur l’assemblée à la reprise du refrain. C’était le canon qu’elle tentait de nous imposer : les garçons qui démarrent, voix en mue, et les filles en crécelles de reprendre après le premier couplet dans une cacophonie désarmante. C’étaient les minutes de chahut avant de se mettre en place pour la dernière répétition, les grands derrière, les petits accroupis devant, et les tenues imposées, pulls rouges et pantalons blancs. C’était, le grand jour venu, sentir l’angoisse monter, les parents qui affluent dans le réfectoire le regard plein de l’attente. Les tables poussées au fond, les unes sur les autres, le grand sapin qui clignote, le raclement des chaises d’école sur le carrelage, les manteaux qui s’empilent dans un coin. Et, nous, petits lutins rouges et blancs, les mains moites, à fixer nos yeux ronds comme des billes sur madame Boyer qui sentait trop fort le parfum de supermarché. C’était le radiocassette qui grésille, la bande à rembobiner au début de l’instrumental, les voix dans du papier cadeau, parasitées par le monde, trop de gens dans cet endroit familier, foulé d’habitude par des êtres de même taille que nous. C’étaient les visages qui nous scrutent, sourires pantelants, attendris sur nos minois apeurés. C’était chanter sans s’arrêter, sans suivre la mesure en regardant maman et ne plus voir madame Boyer que dans un flou agité, une sueur froide qui glisse dans le col roulé.

C’était enfin s’arrêter sur la dernière note, en apnée tout le long, désormais reprendre son souffle. S’étonner des applaudissements nourris et des hourras exagérés. S’étonner de madame Boyer, de sa bise qui pique sur nos joues pourpres et de la fierté flanquée dans son sourire édenté. C’était se libérer de la corvée, courir dans les allées, se coller dans les jupes de maman, puis se rassembler une dernière fois autour du sapin. A Monsieur le directeur, en costume gris, cravate bien nouée, de nous féliciter en distribuant à chacun un petit sac plastique avec une mandarine, un carambar, une papillote, une pâte de fruits et un jus d’orange en brique avec la paille pour percer.

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