André et Josy

18.6.16

La nuit fait son trou et huile le comptoir dans le troquet à l’angle de la rue. Une lumière sale traverse les carreaux. La porte est ouverte et laisse passer des lames de fumée. A l’intérieur, la vie taille au couteau la peau des habitués, tire à bout portant dans les têtes embrumées. Assis au fond de la salle, il y a André et Josy qui se cherchent des noises, noyés qu’ils sont dans l’amour des effluves. Longtemps qu’ils se voient ici, dès potron-minet avant l’embauche pour le petit noir ; puis le soir, quand les ombres tirent sur leurs visages la fadeur du jour, pour un petit jaune ou une Suze cassis. 

Ils ont causé toute la nuit, fumé et bu du Picon comme des cons. André est bourré et quand il est bourré, il raconte sa vie par le menu. Josy écoute et s’occupe de le recharger en Picon pour qu’il n’arrête pas de parler. Il boit puis se vide d’un désespoir qu’il traine depuis des lustres, il lui cause boulot et politique, braille sur le patron comme sur les notables. André est perdu, Josy le sait. Quarante ans qu’il bosse pour le même enfoiré et qu’il encaisse juste assez de quoi se payer des bières. La vie lui a raboté la glotte et depuis, il la graisse. Josy voudrait bien l’embrasser, là maintenant, mais André se rebiffe, ne veut pas de sa bouche qui a baisé tout le quartier. Josy sourit, elle sait que c’est vrai, mais cette nuit André a besoin de ses lèvres comme de l’alcool et du tabac. Il a besoin d’une femme pour cuver sa peine, d’une caresse sur la joue et d’une main sur l’épaule.

Café Lehmitz © Anders Petersen - http://fantomatik75.blogspot.fr/2011/03/cafe-lehmitz-anders-petersen.html


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