Entre les pas

11.10.17

Venu de la pénombre de la cour, tu entends un bruit. Comme s’il y avait quelqu’un. Tu entends ce bruit, un bruit de porte et ensuite des pas sur les graviers qui soudain s’arrêtent et semblent gratter le sol. Des pas et puis la pointe d’une chaussure qui chercherait, sous les petits cailloux, dans le sable meuble, à faire un trou dans la cour ou bien écraserait nerveusement un mégot de cigarette.
Les pas reprennent. Tu les entends s’éloigner puis revenir, tourner autour de toi, si près qu’on les dirait dans ton salon, là, près de toi qui es en train de lire dans ton fauteuil ; mais ils sont dans la cour, enfin, ils sont dehors, c’est sûr qu’ils sont dehors, mais sans que tu ne puisses vraiment préciser si ce bruit lancinant de gravillons écrasés résonne vraiment chez toi, dans ta cour ou si c’est ailleurs plus loin, dans la rue étroite où les immeubles hauts font souvent écho à des bruits extérieurs qui peuvent très bien être des bruits de pas sur les graviers d’un autre ou des bruits quelconques, somme toute ordinaires, des bruits de la ville où les cours en graviers sont légion et qui viennent à toi comme s’ils étaient chez toi.
Les pas disparaissent et laissent place à un silence inhabituel, un silence trop pur. Tu sais que ça va reprendre. Alors tu lèves le nez de ton livre, sors dans la cour, marches sur les graviers où tu retrouves le bruit mais là c’est ton bruit, le bruit de tes pas sur les graviers. Rien à voir avec le bruit des pas de tout à l’heure. Non, ton pas est plus léger puis c’est ton pas, ce n’est pas un bruit extérieur, pas le pas de quelqu’un d’autre. Tu connais quand même le bruit de ton pas et celui de la porte que tu ouvres. Ici aussi, ce n’est pas le même. La porte émet un son plus long avec ce claquement spécifique de la poignée et ce raclement au sol agaçant depuis qu’elle a gonflé avec les dernières pluies. Ce n’est pas le bruit sec et bref de la porte que tu as entendu il y a cinq minutes.
Tu sors dans la rue. Les immeubles sont là, rassurants, hauts et majestueux, ne renvoyant aucun bruit notable si ce n’est le grésillement d’un lampadaire. C’est la nuit pleine, calme et silencieuse. La porte claque derrière toi prise par un courant d’air aussi anormal que soudain. Tu es enfermé dehors, seul avec une angoisse trouble, sans comprendre vraiment où tu te situes entre les pas. Des pas qui, sur les graviers, reprennent leur tour dans la cour. Les mêmes pas qui ne sont pas les tiens, parce que plus lourds, plus massifs, des pas d’homme plus grand, plus fort. La même pointe qui gratte, qui insiste pour comprimer quelque chose sur le sol. Puis le même silence tordu, le même que tu as vécu dans le fauteuil, celui qui t’a décidé à te lever pour aller voir, avant que les pas à nouveau foulent la cour.
Le lampadaire a cessé de grésiller, il s’éteint lentement. Tu tires une dernière bouffée de ta cigarette et l’écrases dans le caniveau avec le bout de ta chaussure.

Dans le même tiroir