Typex

Tu rehausses un peu le miroir
pour te voir plus haut,

pour oublier le trop long
des années de rides.

Tu effaces au Typex, qu’il reste
un peu de blanc sur le manque,

puis reprises maille
par maille le tissu des rêves.
  • 31.3.19

Grand barnum

Ce matin, la rue pareille à celle d’hier. Aplats d’ombres et de lumières, bruits et scènes se répétant ab libitum. Dans ce grand barnum, une gomme géante efface des silhouettes tandis qu’une main en réinscrit d’autres dans le même jeu.  Apparition, disparition. Nous ne sommes dans la rue que des comédiens évanescents évoluant entre la vie et la mort. Un corps en remplace un autre dans la danse macabre des jours.
Une nuit, peut-être, tout disparaîtra. Une nuit, peut-être, tout a déjà a disparu. Ce que l’on voit aujourd’hui de la rue n’est probablement qu’une copie d’une ancienne rue disparue. Ombres et lumières d’une fiction. Acteurs, actrices sur les trottoirs d’une comédie noire. Seul le décor persiste, immuable densité dans l’air que chacun badigeonne de ses couleurs. 

  • 31.3.19

Si peu

Discussion impromptue
entre deux bureaux.

De celles dont personne
ne retient le contenu

Paroles vides échangées
pour tendre le lien social.

Que l’on relâche vite
fatigués de si peu à dire.

16h56 #AuBureau
  • 29.3.19

Ennui flagrant

On aurait vite fait
de confondre
notre ennui
avec de la paresse

s’il n’était flagrant
que nos tâches
mal réparties
creusaient des trous

si profonds
dans nos envies
que plus personne
ne pouvait remonter.

14h30 #AuBureau
  • 28.3.19

Trois fois huit

Les jours défilent,
mercredi tient son rang.

Sans trop y croire,
car ici la semaine n’existe pas.

Nos présences, une à une,
défilent sans aspérités.

Trois fois huit, l’horloge
servile ne se plaint jamais.

18h05 #AuBureau
  • 27.3.19

Bâillements

Milieu d’après-midi
autour d’un café noir.

Certains touillent,
les yeux par la fenêtre.

D’autres étendent
leurs jambes sous les bureaux.

Beaucoup tuent l’ennui
par des bâillements chroniques.

Le jour taille du sombre
dans une matière molle.

16h45 - #AuBureau
  • 26.3.19

Issue

Les ombres grimpent sur le mur
tandis que le couloir s’allume.

Les néons ronronnent
comme des tue-mouches.

Des pas pressés sur le lino
couvrent des petites morts.

Face à nous, les écrans bleus
cherchent une issue possible.

17h00 #AuBureau
  • 25.3.19

Les rumeurs

La rue traîne des rumeurs. L’une sur l’autre, s’empilent les mauvaises paroles. Si on observe bien, depuis les trottoirs, on peut voir une brume épaisse divaguer. Une brume de mots vils mêlés, de verbes hauts et au travers, on distingue à peine les hommes et les femmes mutilés par les rumeurs de la rue. 
On serait tentés de ne pas voir. De passer à côté, absents. D’oublier les rumeurs une fois qu’elles sont passées par les gueuloirs, périmées et remplacées par des rumeurs nouvelles. Mais la rue en garde le souvenir indéfiniment, jusque dans ses entrailles : rumeurs vieilles pourrissant dans les boyaux d’autres. Et ainsi de suite. Vases communicants, les unes sur les autres qui s’enfantent.
  • 24.3.19

Bulles

Sur le mur, ces pixels verts
qui tournent autour
du cadran de l’horloge.

Bulles qui naissent
puis s’éclatent
sur nos humeurs.

Ainsi battent les secondes,
du premier regard
à la dernière heure.

Nos soupirs les suivent,
suite lancinante
de signaux faibles.

16h15 #AuBureau
  • 22.3.19

Volets baissés

Les volets sont baissés
pour éviter le reflet sur les écrans.

Nos yeux scrutent les formes
dans le scintillement des blancs.

Qui verra le plus petit point
sous l’injonction de la page qui défile ?

Qui saura dénoncer
les plus mauvais paysages ?

14h55 #AuBureau
  • 21.3.19

Partout ailleurs

On écrit la grève
et l’absence
de trains roulants.

On pense à la plage,
au vent circulant
sur le sable.

On aimerait être
nulle part à parler
de partout ailleurs.

16h00 #AuBureau
  • 19.3.19

Quand ça frotte

Parfois, il y a quelque chose
qui frotte entre nous.

Entre le savoir-être
et l’exaspération.

Entre les sourires convenus
et les pensées de meurtre.

Comme un conseil d’administration
après trop de dettes intimes.

17h50 #AuBureau
  • 18.3.19

Les meilleurs bâtons

Tu marches péniblement. Tu dis toujours que je suis ton bâton, celui qui t’aide à avancer. Bien sûr, je souris à la métaphore, moi qui ne tiens plus debout. Bien que le fil qui nous relie soit aussi fort que le plus robuste des bois, il ne nous aide pas pour autant à marcher droit. C’est une chimère, un décorum de vieux amoureux.
La vie, elle, est bien plus crasse. Elle nous renvoie dans les cordes sans aucun bâton pour se relever. Alors, on invente ces sursis poétiques, bâton de pèlerins intemporels qui nous guide vers des lignes d’horizon nouvelles, au-delà des ciels, au-delà de nous. Mais réellement, nous le savons, c’est bien vers un ciel aussi certain que l’est notre propre mort qu’il nous mène ; vers notre propre petite mort qui patiente sur un banc, près d’un arbre aux racines profondes dont on fait, dit-on, les meilleurs bâtons.
  • 16.3.19

Ces heures-là

Les heures accoudées au bureau
balancent lentement leur vertige.

Elles pourraient tomber à tout moment,
précipiter le temps ailleurs.

Dans un champ de blé
ou sous un arbre un jour d’été.

Mais rien n’y fait, ces heures-là
sont trop peureuses pour exister.

17h05 #AuBureau
  • 14.3.19

La disparition #JourSansE

Il savait la disparition
sans chagrin ni sanglots.

Sa main brodait un mot
aussi fin qu’un courant d’air.

Chuchotis sur son billot,
la nuit travaillait l’oubli.

-

(Tous les 13/03, hommage à Georges Perec et à son livre « La disparition »)

  • 13.3.19

Sans voix

Tu parles toujours dans ma tête. Seulement dans ma tête. Ta voix rauque à l’accent chantant d’ici, je ne l’entends plus. Tu peux toujours crier dans quelques rêves, je ne comprends pas les mots. J’ai oublié le timbre de ta voix. Seule ta bouche remue la poussière d’entre les murs qui nous séparent. Une bouche vociférant des mots que je n’entends pas. Un appel sans bruit mais avec l’expression de ton corps que je vois et garde précise. Une scène qui se répète ab libitum. Muette.
Et plus tu t’époumones, plus se tend le piège de la nostalgie : voir sans entendre. Savoir sans comprendre et combler le vide par le souvenir. Un souvenir en miroir, toi dans moi, moi dans toi. Le fils, le père et nos ressemblances de silence. Ton visage se coule dans le mien, trait pour trait. Il balance les mêmes lèvres nourries de ce qui ressemble à nous : un monde de taiseux.
Pourtant, tu veux raconter. à moins que ce soit moi qui aie besoin de dire combien je te reconnais en moi. Projection de l’un sur l’autre, je vieillis et te rejoins. Le gris qui nous rassemble désormais fait que ma vie rattrape la tienne dans un même cœur lourd. Bientôt, nous accorderons nos bouches pour nous souvenir. Sans voix.

_

Extrait de « Rats taupiers », éditions des vanneaux > https://www.sauramps.com/livre/9782371290686-rats-taupiers-christophe-sanchez/
  • 12.3.19

Marronniers

On va comme les saisons,
marronniers à réciter.

On dit le temps qu’il fait,
on retient le temps qui va.

Sur nos écrans, un mouvement
de paupières plisse les rêves.

16h42 #AuBureau
  • 11.3.19

Tout à nos cendres

Au bord du feu, un large cercle de cendres dans lequel s’éteignent nos espoirs. Que nous formions encore un brasier au creux de nos mémoires nous dit combien il reste de souffle. Douce joie d’être assis l’un à côté de l’autre pour toujours fournir le feu, bien malgré nous. Un espoir meurt, un autre naît. On sait que la vie ne parle qu’à nous. Ta main l’attise, tu jettes des brides de mots, sans articuler, alors que je t’observe toute à ton travail d’exister. Tu fais de même quand j’empile le bois, que mes paroles ressemblent à ces bûches prêtes à brûler.
On mêle nos corps au feu depuis si longtemps qu’on a la certitude d’avoir des ressources éternelles. Dans nos yeux, brillent des pièces d’un métal brûlant et inconnu ; tison sans aucune valeur sinon celle qu’on lui donne. Jetons les espoirs un à un, renouvelons les cendres – nourrissons sans cesse le feu, il nous régénère.

  • 9.3.19

Nouvelle grammaire

Nous nous connaissons tellement, désormais. Tant et tant que nous anticipons nos fins de phrases. Nos souffles forment des points de suspension qu’on laisse à l’autre le soin de relever d’un sourire ou d’effacer d’un regard. Après toutes ces décennies, notre vieillesse a su créer sa propre grammaire, s’affranchir des carcans du langage pour en créer un nouveau, le nôtre. Souvent à l’écart des autres pour qui cette alchimie de signes reste inconnue. On les laisse volontiers étrangers à nos codes, absents à nos mots, interdits face à nos silences. Malin plaisir ainsi de se croire uniques, débarrassés du jugement, dans une différence opaque, si insondables que personne n’ose venir nous chercher derrière ces petits riens aux contours de forteresse.
Pourtant, nous vivons les mêmes levers de soleil que tout le monde, les mêmes heures à jouer à la vie éternelle, les mêmes nuits où dans notre sommeil se greffe tant d’angoisse existentielle. Mais, notre idiome amoureux nous sauve de la barbarie des autres. Leur incompréhension nous laisse libres. Une place à part pour inventer et réinventer tous les jours notre histoire. 

  • 5.3.19

Belle robe

La rue a mis sa belle robe. On la voit briller de mille feux. Les oiseaux reviennent. Le printemps les attache à la chaleur du bitume. Rase-motte puis remontée vers un ciel qui nous éclaire, ils tournoient tels des anges qui retrouvent la cour de récréation. La rue sourit enfin après des mois de tensions hivernales. La voilà en parade amoureuse, voulant nous faire oublier son côté sombre. Personne n’est dupe. Sous sa capeline qui sent la violette, sous le bleu de l’horizon, au bord des lilas fleuris, on sait la violence imprévisible. On connaît cette armée d’ombre qui rôde toujours, camouflée sous une cape de soleil.
La rue a mis sa belle robe. Oui, mais. Dans ses cheveux, pullulent encore les perfides poux de l’enfance. Sous son bel apparat, des blessures qui jamais ne se referment. Dans les replis de son ventre, voraces, couvent inlassablement les mêmes mauvais rêves. 

  • 3.3.19

Langue nouvelle

À défaut de sens, on écrit
sur nos écrans des mots clés.

Formules, éléments de langage,
qui engagent peu nos mémoires.

Langue nouvelle pour performer,
griffe pour masquer les fragilités.

On a pourtant envie de crier
la complexité de nos mélancolies.

16h29 #AuBureau
  • 1.3.19