René

22.7.09

Grand, sensible beau, et bègue depuis son jeune âge. René ! C’est son prénom ! Je me suis toujours demandé comment on pouvait donner un prénom pareil. Non pas que le mien soit plus séduisant mais dans mon imaginaire d’alors, ce prénom se devait d’identifier des personnes un peu plus âgées. Malgré cela, je l’aimais bien mon cousin René.

Il passait rarement, mais à chacune de ses visites, c’était un peu la modernité qui s’installait chez moi. Il faut dire qu’il descendait de la Capitale. Toujours très branché, il écoutait de la musique disco et portait des jeans et sweats très en vogue. Ses vingt-cinq ans, mes onze, nous n’étions pas toujours sur la même longueur d’onde, mais, ses goûts musicaux, son allure, son handicap, en faisait un personnage attachant et fascinant.

Mes parents, par contre, le regardait différemment. Ils affichaient souvent un sourire moqueur en le regardant de haut en bas. Ce dédain m’interpellait et je ne comprenais pas la raison d’une telle attitude. Je rangeais cela sur sa difficulté d’élocution tout en me disant qu’ils manquaient de compassion à son égard. Je trouvais leur comportement méprisable, ce qui, avec le recul, m’invitait à l’aimer encore davantage.

Au fil des années, René et moi avions établi une complicité authentique. Ce n’était pas le grand ami que j’escomptais mais il s’était tissé entre nous une affection réciproque qui se dispensait de mots obséquieux. C’était de toute façon mieux ainsi, tant j’avais du mal à comprendre ses phrases hésitantes et ses syllabes chancelantes. Il était très généreux. A chacune de ses venues, il m’offrait toujours un cadeau. Le plus beau fut certainement ma première chaîne stéréo accompagnée du dernier 45 tours, « spacer » de Sheila. Ce n'est pas avec ça que j'allais construire ma future culture musicale mais j’étais fier qu’il m’apprécie et son empathie me ravissait.

Sa mère l’accompagnait souvent et un jour, je surpris un complot chuchotant. Mes parents et elle en grande discussion masquée débattaient de l’avenir de René. C’est ce jour là, indiscret, que j’apprenais la nouvelle qui faisait vaciller mes parents. La raison de leur moquerie, inquiétude ou autre gêne ne résidaient pas sur son handicap mais sur son orientation sexuelle. Et bien, oui, mon René était pédé. Le fait était établi et ne m’embarrassait nullement mais créait un vrai malaise dans la famille. Comme toujours, nous n’en avons jamais parlé.

Presque trente plus tard, l’omerta est toujours de mise même si, entre temps, la chose fut avouée et acceptée. Je n’ai plus de nouvelles de René. Il me reste ces quelques visites qui ont marqué ma pré-adolescence ; mélange de souvenirs troublés et d’amertumes évanouies.


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