Alvin, de lui vers C. (5)

4.4.10

image [ Cassandre la web-dreameuse (4) ] Cassandre consulte plusieurs fois par jour le blog d’Alvin. Elle passe et repasse troublée, fébrile sur ses lignes qui lui sont adressées en catimini. Du moins, le croit-elle. Comment être sûre que C. est bien Cassandre ? Après tout, jamais ils ne se sont écrits, parlés. Aucune interaction, ils ne se connaissent pas. Ils se lisent respectivement depuis des jours mais aucun dialogue direct, aucune séduction directe avérée, aucune discussion par tchat, aucun courriel échangé. Rien qui ne peut justifier une telle délivrance de sentiments aussi emportés. Personne ne connaît C. et le lectorat d’Alvin, surpris, se pose des questions sur ce personnage féminin venu soudain nourrir le blog du web-addict. Finie la philosophie maladroite et touchante du garçon, ses billets sont désormais rédigés comme des déclarations intimes. Un intime dévoilé. Alvin exulte la notion paradoxale qui prévaut implicitement sur les pages des blogs personnels. Il « s’extime » et sans retenue, modifie sa prose en poésie décalée. Il étale son trouble, ses sentiments pour C., qui incarne subitement l’élu de son cœur. Mais il ne répond plus à ses commentateurs, ne partage plus, ne discute plus sur le sens même de ses publications. Il s’enferme ainsi encore un peu plus dans l’anonymat de ses mots.

Alvin, fatigué de ses rengaines virtuelles, se terre désormais derrière son écran. Depuis qu’il a découvert le blog de Cassandre, ses activités cybernétiques ont quasiment cessé. Il ne consulte qu’un seul espace, celui de cette jeune fille de banlieue seule et désespérée. Elle déploie une écriture sincère sur sa vie d’étudiante recluse. Arrachée à sa région natale, coupée de ses liens familiaux, elle distille son spleen, s’épanche sur son isolement d'âme, extrait de sa fièvre une sensibilité touchante et, in fine, démontre sans l’écrire son inadaptation chronique à la société. Elle dilue ses liens numériques, s’accroche à une prose que personne ne semble remarquer. Peu de passage sur son blog. Simplement quelques commentaires de lectrices qui s’identifient, s’amourachent de son verbe et accentuent par leur assentiment la fuite propre à ces univers parallèles. Pour la première fois depuis qu’il parcourt ces espaces personnels, Alvin se reconnaît dans les mots de Cassandre. L’identification est immédiate, quelque chose lui parle comme si cette blogueuse était son pendant féminin, son alter-ego virtuel. Il visite assidûment son blog, remonte le fil du temps et lit chacun de ses billets comme s’ils étaient siens. La similitude est incroyable, leur malaise existentiel, leur vision rêveuse de la vie si ressemblants qu’il perd pied, vacille à chaque phrase et égare sa superbe de Casanova virtuel. Il ne parvient pas à lui dire, lui écrire le sentiment troublant qu’il ressent à la lecture de ses textes.

Otage d’une timidité que lui-même comprend mal, il préfère se taire, fuir, saboter et imaginer une vie à deux avec cette inconnue. Plongé dans son illusion et plutôt que d’aborder Cassandre, il préfère sublimer, édulcorer une hypothétique idylle virtuelle. Il veut faire de C. la compagne idéale, l’archétype du bonheur plutôt que de découvrir réellement son authentique personne. Une peur réelle paralysante de se fourvoyer décuple paradoxalement son écriture, la modifie en profondeur pour créer un texte libéré, une correspondance vive adressée à une aimée encore évanescente. Peut-être, se dit-il, découvrira-t-elle ses passages, viendra-t-elle l’aborder pour casser cette crainte inexpliquée qui s’empare lui ? Le flux pour le sémillant blogueur se transforme alors en un mince filet. Toute son attention est dirigée vers Cassandre. Le web n’est plus ce fourmillement de pensées désordonnées. Pour Alvin, il est désormais unilatéral, de lui vers C. pour lui verser ses pensées vaporeuses. Il n’y a que Cassandre qui compte. Le reste n’a plus d’importance. Les liens acquis et choyés pendant des années éclatent en questionnements divers sur ses nouveaux écrits emplis de romantisme exacerbé. Son lectorat se divise en partisans minoritaires de son lyrisme enflammé et nouveaux détracteurs virulents de ses épanchements inexpliqués. Alvin s’en moque, il continue et lâche tous les soirs sur des billets courts et enthousiastes son histoire singulière, celle qui l’imagine dans les bras encore impalpables de Cassandre.

A suivre…
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