C. et si ce n’était pas elle ? (7)

12.4.10

image [ Alvin, de lui vers C. (6) ] Un matin comme tous les autres, Cassandre se réveille sur le blog d’Alvin. Un billet à nouveau écrit d’une plume emportée trouble un peu plus la perception des évènements. Les mains de C., comme Cassandre. Personnage omnipotent dans ses propos, répété plusieurs fois comme une rengaine, comme une louange à sa déesse. Alvin semble inspiré jusqu’à l'obsession par cette dulcinée qui absorbe ses mots dans l’encre numérique intachable qui les répand. Comme les précédentes publications, l’énigmatique C. se décline sous les yeux médusés de Cassandre. Et si ce n’était pas elle. Tout semble si irréel. Elle lit plusieurs fois ses lignes, suit du regard les mains de C. tout en examinant les siennes. Mes mains ? Pourquoi Alvin écrirait-il sur mes mains ? Décidément, le blogueur la tourmente autant qu’il la séduit. Un charme effronté qu’elle ne parvient plus à ajuster à sa personne tant l’idolâtrie déployée par Alvin s’écarte de sa réalité. Et elle s’interroge encore sur cette propension à célébrer C. Par quel truchement psychique arrive-t-il ainsi à parler d’elle alors qu’il ne connaît rien ? Perturbée par ces déclarations dithyrambiques, il devient urgent qu’elle en sache davantage. Elle veut être sure que sous cette initiale impersonnelle c’est bien d’elle dont il est question, que sous son écriture exaltée se taisent une demande de correspondance, un appel à se dévoiler. Le jeu a assez duré. Il faut savoir maintenant quitte à se tromper sur les intentions de l’inconnu. Ce soir, elle passe à l’action.

Elle referme son notebook en pensant déjà à la manière dont elle fera son entrée en scène. Elle songe un instant à s’infiltrer dans son jeu, à publier un billet éloquent divulguant un A. idéalisé. Mais elle se ravise très vite. Le but est désormais de découvrir la séduction d’Alvin. Elle veut du contact, un vrai échange, un éclaircissement sur ce qu’elle a lu depuis des semaines. Elle désire bousculer l’alchimie présumée naissante pour pourvoir mieux la reconnaître, y donner vie, l’explorer ou la laisser s’évanouir si d'infortune C. n’était qu’un fantasme dévoyé. Toute la journée elle songe à la manière la mieux adaptée. Un commentaire sur son dernier billet gagne au fil des heures une adhésion timide. De toute façon elle ne voit que ce moyen, Alvin ayant verrouillé les autres possibilités de contact. Elle aurait aimé pourtant se livrer plus amplement sur ces ressentis, lui écrire une lettre, missive personnelle à l’abri du regard des autres. Si elle opte pour le commentaire, il sera lu par la troupe divisée qui arpente le blog d’Alvin. Elle témoignera ainsi de son existence réelle. Sur le flux racoleur, elle alimentera les curiosités malsaines qui abondent dans les sentiers battus de l’espace d’Alvin. Dévoiler sa présence tout en avouant que les nobles déclarations du blogueur sont perpétrées à son insu lui paraît d’ores et déjà inenvisageable. L’extimité ne peut pas se conjuguer à deux, c’est beaucoup trop dangereux. Et reporte toujours sa décision la question lancinante qui vient tordre sa raison : si ce n’était pas elle ? Cassandre se perd en atermoiements sans fin, s’épuise en cogitations excessives et finit par renoncer une nouvelle fois.

Le soir venu, devant son écran, elle se retrouve angoissée au milieu des pages insipides qui défilent. Empêtrée dans son indécision, elle fuit le blog d’Alvin, ne veut pas voir si une nouvelle mise à jour est apparue. Elle clique hagarde sur d’autres liens, d’autres espaces sans importance pour déloger le nœud malin qui a lentement mûri dans son ventre. Elle passe ainsi la soirée et une partie de la nuit à naviguer sans attention jusqu’au moment où, sur le point d’éteindre son ordinateur, un email l’informe d’un nouveau commentaire sur son blog. L’auteur du message  a pour pseudo révélateur un A suivant d’un point.

A suivre…
Illustration

 

Dans le même tiroir