Trois semaines en glossolalie

20.5.10

image

Jeudi 6 mai 2010
Ce week-end, on change l’heure. Béatrice est assise devant son père et essaye d’engager la conversation sur des futilités. Elle parle de la pluie, du beau temps, des années passées et d’autres discussions qui n’ont aucune autre importance que celle d’entendre à nouveau son père s’exprimer. Louis se tient assis dans son fauteuil au milieu de la cuisine obscure. Seule une faible lumière naît par la fenêtre et meurt sur ses mains fermement posées à plat sur la table. Il commence à faire froid, c'est la fin du mois d'octobre et Béatrice attise la cheminée qui déploie une belle flambée rassurante. Louis regarde fixement les flammes, perdu dans des pensées abyssales. Il ne répond pas et se contente de quelques rictus nerveux et décalés avec le monologue de sa fille. Il sourit béatement sans comprendre ce qui se passe, ce qui est dit et qui est cette inconnue bavarde assise à sa table. Béatrice se lève pour faire du rangement dans la pièce et dans ses idées troublées. Elle se saisit du balai et commence à tournoyer autour de lui. Passant sous la table, elle effleure ses pantoufles, donne quelques coups sur les pieds du fauteuil. Louis demeure figé, imperturbable. Elle ne désarme pas et malgré la situation pesante, elle continue à parler comme si rien n’était. Elle passe en revue la vie de son père, parle de son ancien travail, de sa mère tout en passant un chiffon doux sur l’ensemble des meubles de la maison. Elle nettoie les moindres recoins et trouve commentaires et anecdotes à chacun des objets rencontrés. Quelques heures passent jusqu’au coucher du soleil. Béatrice, à cours de propos, s’assoit prés de lui, saisit ses mains restées jusqu’alors inexorablement plaquées contre la table et les serrent fortement contre sa poitrine. Louis tourne la tête surpris de cette initiative. Ses lèvres sèches tremblent un peu. Il tente de parler, de lui donner quelque chose. Par le regard, par le toucher, elle transmet la chaleur que les mots n'apportent plus. Le regard larmoyant, le vieil homme se courbe et dans un râle profond, murmure à son oreille : « Je pars... le grand voyage… ». Il ne reste plus que quelques cendres rougeoyantes dans la cheminée. Il est 18h30, heure d’hiver.

Jeudi 13 mai 2010
La saison détonne et peu m’étonne cette fraction d’air atone. D’aucuns diront que j’en fais des tonnes, que je m’adonne fanfaron au monotone. Sous un clone brouillon d’acétone, je m'abandonne faux moribond. Nul dicton ou juron je ne claironne, plus aucun rebond qui ne détone. Je me cantonne oblong sans gronde et tâtonne sur un ton synchrone. Moins d’atomes carbones pour une condition moins sauvageonne. Plus de leçons je ne sermonne, ni d’assurances ne fanfaronne. Mettons que je prône ma seconde de prose qui chantonne, sans objection qui abonde. Peu importe si brouillon cela résonne, ma faconde monte aphone du fond d’une eau qui raisonne.

Mercredi 19 mai 2010
Quand arrive le moment de choisir, en réunion avec moi-même, je discute, je me cause grave, je me vilipende sévère. Puis, pris dans des introspections réelles qui tournent rapidement au fictif, je décide malgré moi pour que naissent plus tard et pas tout à fait à mon insu confusions en tout genre. Souvent, il faut que je me le dise, la genèse du choix et la décision qui en résulte m’échappent comme si tout cela était manigancé par un autre que moi. Alors, deux hypothèses : soit je pousse mon jugement étranger hors de moi, soit j’use de mon éloquence pour donner justification à mes propos. J’opte souvent pour la seconde car, de mon chef ou pas, une décision est une décision ; peu importe si elle m’incombe vraiment dans la mesure où elle se déclare d’elle-même. Le problème se complique lorsque l’arrêt rendu, pourtant unanime (moi et moi s'étant longuement concertés), n’est pas suivi de faits tangibles qui corroboreraient choix et actions. Je m’explique. Je choisis puis acte et finis par nier avoir acté. Pire j’argumente pour que de façon intellectuelle et cartésienne mon choix soit indéniable, indiscutable et irrémédiable. Et quelques jours plus tard, je trouve les arguments inverses amenant à réduire en miettes le raisonnement précédent. Il en découle une décision opposée, à prendre ou à laisser. Les deux alternatives devenant possibles, je ne choisis pas..

Les trois derniers paragraphes publiés sur le blog collectif, le convoi des glossolales.

Dans le même tiroir