En blanc

16.10.10

En blanc La robe est prête depuis des mois, rangée dans l’armoire de la chambre d’en haut. Recouverte d’une housse transparente, elle attend le grand jour, le plus beau jour d’une vie, le jour blanc où ma sœur Julie va la revêtir. Maman s’occupe des derniers préparatifs, cérémonie, traiteur, faire-part puis, avec un soin particulier, choisit et accompagne ma sœur chez un grand coiffeur, qui lui monte une choucroute sur la tête en ramenant tous ses longs cheveux bruns au sommet pour dévoiler son visage immaculé de jeune fiancée.

Et très vite, elles se retrouvent toutes les deux, pour les derniers instants, devant ce placard ouvert sur la robe blanche, symbole de l’union à venir mais aussi du départ de la maison, d’une histoire qui finit, d’une autre qui commence. Alors, maman est émue, ma sœur aussi. Dans l’embrasure de la porte, je les épie, petit louveteau endimanché d’un pantalon de flanelle gris et d’une chemise blanche à jabot d’un autre siècle. Maman décroche la robe de son cintre, la roule précieusement entre ses doigts et la passe dans la tête de Julie en prenant soin de ne pas la décoiffer. Elle fait descendre quelques mèches sur son visage, pique deux petites roses rouges sur le côté, puis parcourt son corps pour lisser les faux plis.

Elle finit cet apprêt maternel à s’attardant d’une caresse sur son ventre. Julie pose ses mains sur les siennes et elles restent un instant figées sur son abdomen jusqu’à ce que des larmes coulent sur le visage de la jeune mariée. Elles se chuchotent quelques mots, maman la prend dans ses bras, la réconforte, lui dit que ça ira, que ce n’est pas grave, qu’à part elle, personne ne le sait et, encore, que c’est courant aujourd’hui, plus personne n’est vierge avant le mariage alors un accident peut arriver. Puis franchement, qui va décompter les mois exacts avant l’arrivée du bébé ?

Au beffroi de l’église, les cloches sonnent l’éminence de la cérémonie. Je rejoins papa au rez-de-chaussée et nous attendons la descente de la mariée. Personne ne l’a vue encore, à part maman et moi. Je suis très excité par cette journée, la couronne sur la porte, mon père en costume, le monde qui se rassemble devant la maison, les cloches et mon jabot qui me gratte le torse. Elles arrivent, d’abord ma mère puis, Julie, belle et majestueuse qui descend les marches avec prudence pour ne pas se prendre les pieds dans la robe. Elle se tient encore le ventre, elle a mal peut être. Elle hésite, sourit nerveusement, croise le regard de papa qui se tourne brusquement vers maman, puis, devenu blême comme la robe, pointe à nouveau les yeux de Julie et lui décoche devant l’assemblée médusée : « Et tu n’as pas honte de te marier en blanc ?! »

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