José et Marcel

6.8.12

La nuit, elle nous avait pas lâchés d’une semelle, noire à crever au début, elle nous a finis blanche comme du petit lait. C’est qu’on en avait besoin du petit lait après les descentes de gosier qu’on s’était tapées avec le José. 

Il avait frappé juste avant les vêpres. Je venais de fermer les carreaux après avoir maté les jeunes bigotes qui entraient à petits pas pieux dans la chapelle en face mon bouge. « Tu viens t’en rincer une ? » qu’il me dit, le José. Pas bien envie au début, pas le moral à traîner dans les zincs, ce soir-là. Plutôt envie de me la faire plumard et gratte-couilles. Genre je me dégorge tranquille, seul au monde mais le cinq contre un fertile. Puis il a insisté. José, je sais pas comme qu’il s’y prend mais avec sa bouille de couillon, ses joues roses et son sourire Prisunic, il arrive toujours à te dévisser les dents et tu te laisses embarquer. 

« Mets tes pompes vernies, Marcel ! On va faire la tournée des grands ducs ! » Des grands trouduc que je lui réponds tout de go ! Il s’est marré. Faut dire qu’avec nos gueules de déterrés, nos cinq cents balles par mois trois fois bouffés d’avance, on avait rien de grands ducs ou alors de ceux qui avaient perdu leurs armoiries depuis déjà trois générations.

Bref, j’enfile mes godasses – des pures Weston en plactoc véritable de chez Tati - après les avoir transformées en miroir à ciel avec un molard bien glaireux du José et un peu de mon huile de coude. Nos gabardines sur le dos, gominés comme des puceaux et voilà mon José et mézigue à rouler les épaules sur les trottoirs de Paname. Le chapeau claque vissé sur le teston : tu aurais dit des maquereaux préfabriqués.

Et on a fait la nique au monde comme ça jusqu’à pas d’heure. Les troquets enfilés comme des perles, et les Picon-bières à rendre pi que cons. Si bien que la nuit, on l’a pas vue, tellement on avait le carafon trimbalé de gauche à droite. Les tournées qui te tournent – c’est leur job - et les vieux cons de patrons à tricot blanc qui t’insultent comme en plein jour, ça te fait décoller de ta merde et tu vois plus le temps passé.

C’est vers quatre ou cinq heures du mat’ alors que le José épongeait le bassin public genre Mastroianni dans la Dolce Vita serrant dans ses bras un ange en béton plein de fientes de pigeons et que moi, je titutbais du trottoir au caniveau avec des petits pas claquettes de mes deux gueulant un Singing in the rain foireux, c’est à ce moment-là que les poulets ont débarqué, avec leurs blases de poulets, leurs moustaches de poulets, et leurs putain de matraques de poulets.

Et là le noir, plus de blanc, plus de Picon, plus de José, plus de Marcel. Deux ou trois coups sur l’échine et leurs cousins dans le bide, je peux te dire, mon gars, que tu leur causes meilleurs aux condés et quand ils te poussent dans le saladier, tu rechignes pas. Tu bois ton petit lait et tu la boucles.

Alors après tout ça, tu comprends mon garçon, pas trop envie que tu captures nos figures dans ta boîte à souvenirs. Rideau, le José et moi, on va se la jouer discrets.

Illustration : Wegee

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