A la Saint-Patron

14.10.12

On a balayé et lustré la terrasse. Chaque recoin a été inspecté, les tables et les chaises placées avec soin et méthode de façon à ce que la dalle de ciment puisse accueillir un maximum de personnes On a créé des espaces de convivialité – être sur la terrasse avec les autres et  apprécier les moments de partage sans faux-semblant – mais aussi des coins plus discrets – un espacement entre les assises finement étudié pour que quelques tablées disposent de la place nécessaire pour former un groupe libre de brailler ou médire sans être déranger par les voisins.
Bref, on s’est affairé car dans quelques heures, elle sera bondée, la terrasse du café du balcon, dans quelques enjambées du bout du jour, le village avec tout ce qu’il compte de petite bourgeoisie crottée viendra s’asseoir là, à converser sur l’événement et à engloutir le reste des ragots de la semaine. Mais ils seront surtout réunis pour boire, boire, boire encore et trinquer au saint patron qui les protège tous du mauvais sort.

Il y aura monsieur le Maire, bien entendu, mais il se fera attendre, il arrivera en dernier et sautera de table en table, en serrant des mains et en claquant des bises fines à chacun de ses administrés endimanchés. Il affichera le sourire craintif de celui qui ne veut pas polémiquer, ne pas trop discuter pour éviter les questions fâcheuses, celles qui pourraient l’handicaper au prochain scrutin.

Monsieur le Curé sera aussi de la partie, sans la soutane – longtemps qu’il ne la met plus, c’est ce qu’on dit sur le parvis de l’église et il n’y a pas que sur la soutane que l’on glose : les mœurs du cureton laisserait vraiment à désirer – il arborera un complet gris de bonne facture, un pin’s du christ au revers de sa veste, il sourira à tous, même aux brebis égarées plus habituées aux rampes des estaminets qu’à la barre de son confessionnal. Dés qu’on chuchotera en le regardant, il s’évaporera.

Le médecin du village viendra avec sa sacoche pour la bobologie et prendra des nouvelles des habitués de la salle d’attente. Ostentatoire docteur, vêtements de marque et coupé sport,  fraîchement arrivé de la ville – deux semaines tout juste qu’il a remplacé le vieux toubib, quatre-vingt-sept ans de bons et loyaux services, il est mort dans son cabinet, dans les bras de madame Colette, l’épicière hypocondriaque - ce sera pour lui un moment important, celui de l’intégration, anisette et chemisette à manches courtes pour mieux lever le coude. Il lui faudra en découdre entre son élégie de la douce mort qui incube dans l’alcool et l’intransigeance portée par le saint patron, saint distillé de la cuisse de Bacchus qui élève depuis des siècles la population au petit jaune.

Et il y aura les autres. Paysans vignerons aux tarins rouges comme des lampions vociférant sur le temps qui perturbe leurs récoltes. Commerçants cupides dopés par Colette, la présidente du syndicat des professions de bouche, qui toute la soirée vanteront les produits du terroir, les joues gonflées de cholestérol. Et d’autres. Matrones gouailleuses et maris misogynes qui referont la guerre des sexes pour la énième fois tandis que leurs adolescents pré-pubères cacheront leur alcoolisme naissant en faisant passer des bières blanches pour des panachés. Et des encore plus jeunes malpolis et désoeuvrés se frotteront avec morgue aux vieux rabougris atterrés et réacs dans des tirades transgénérationnelles ubuesques. 

Tout ce beau monde festoiera de bon cœur en l’honneur du Saint-Pastaga et de tous ses disciples jusqu’au petit matin, réveillant en eux l’appartenance à une franche et rigolarde communauté de bons vivants. 


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