Les doryphores

14.7.13

Dès l’été tombé comme un drapeau au top départ d’un grand prix, il se mettait à gueuler au bord de la route, mâchouillant l’ambiance le soleil entre les dents. A l’affût des autos en lent convoi serpentin, chaque étranger détecté à sa plaque minéralogique était habillé pour les vacances : l’hollandais blond buriné de tâches de rousseur à la voiture gavée de marmots en transe, l’allemand aux tongs chaussettes bien climatisé dans sa Mercedes, le bon français mais du Nord à la face d’aspirine qui deviendra vite écrevisse et bien sûr le suisse qui, fidèle au cliché, ralentissait tout le monde avec son allure de suisse. 

Des sauvages, tous des doryphores, qu’il criait au nez des touristes vitres ouvertes. Parasites, filez de là !

La nationale 112 traversait le village et ne désemplissait pas de ses longs embouteillages d’étrangers venus gober le soleil du Midi. Et ça, c’était insupportable. Deux mois durant, ils bouffaient le vert de ses terres, installés dans des campings dénaturés par leurs tipis à deux balles ou leurs caravanes de carnaval. Ils envahissaient les berges de sa rivière, badigeonnés de crèmes comme des côtes de porc à la moutarde. Et ça, le vieux, ça le mettait en colère ! Alors, il le disait, haut et fort, comme s’il avait le pouvoir de les faire retourner chez eux. 

Chaque année, il était sur le pont qui enjambait la rivière, se plantant là en défenseur du territoire et de sa tranquillité : de la sieste à l’ombre des figuiers avec pour seule mélodie le ruissèlement de l’eau, de la pêche à la truite sans baigneurs gras autour de lui, du pastis à la terrasse du café avec olives vertes et cigales. 
Alors jusqu’à ce que le flot d’arrivants se tarisse, il jappait, cabot hargneux aux pots d’échappements étrangers. Sur la route, à la fumée des diesels et de sa gitane maïs toujours piquée aux lèvres, il haranguait les langues gutturales qui lui cassaient les esgourdes et fustigeait l’envahisseur l’affublant de références des plus douteuses.

Allez au diable, wisigoths et ostrogoths ! hurlait-il. Foutez-moi le camp, les boches ! Vous me bouffez mon air, sales doryphores !

Et au mitan de l’été, fatigué de gueuler et harassé par la chaleur, il disparaissait du pont, laissant la route à son ronronnement. Il se fondait dans la campagne dans quelque endroit que lui seul connaissait, bien à l’abri des doryphores.

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