Le chicot

7.7.13

Il frôlait les murs le sourire en embuscade. Toujours dans sa bulle à essuyer le trottoir de sa marche rabougrie : des petits pas chassés de sandalettes qui laissaient apparaître des orteils aux ongles noirs et aux encoignures grasses de sueur. Ses yeux ronds et noirs éclatés de gros sillons rouges affolaient le passant qui voyait en lui un monstre défait du monde, un clochard trop jeune pour en être mais qui portait en lui tous les apparats du genre. 

Il le savait. Son air douteux, son allure venue d’un ailleurs que personne ne connaissait et sa puanteur bien de ce monde - un mélange de viande avariée et de poisson crevé au soleil -excitaient les curiosités comme les répulsions. Il le savait. 

« Le chicot », c’est par ce surnom que le quartier l’avait baptisé. En cause : sa bouche édentée où demeurait seule à saliver une incisive déguenillée de tout email. Plantée là comme sur un sol martien, elle ressortait en étendard de son sourire gingival permanent. Car sourire de cesse était sa seule arme face aux œillades perfides et aux fréquents quolibets qui éclataient sur son chemin. 

« Hey, le chicot tu pues ! », « Le chicot, dégage et va te laver ! » ou pour les plus effrontés : « Oh le chicot, viens par ici, tu me serviras de tue-mouches ! ». Chaque diatribe le faisait reculer d’un pas, s’adosser au premier mur venu les bras écartés et les mains plaquées paumes ouvertes tel un crucifié prêt à être exécuté. Mais jamais le chicot noir ne disparaissait de sa grande bouche rouge sang. Dans une béatitude doucereuse, le sourire allumait son visage d’une intelligence insoupçonnée. Comme s’il acceptait les insultes mais ne pouvait rien en dire, comme si les attaques atteignaient son corps mais pas sa tête. Il restait figé au mur le temps qu’il fallait, le temps que ses assaillants se taisent et poursuivent leur route puis, à son tour, il reprenait sa marche trainant sandalettes et sourire en bandoulière. 

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