La femme au balcon XLIX

21.5.22

Il faut vraiment que j’arrête cette obsession paresseuse qui consiste à simplement te regarder parler à ton téléphone. Que j’arrête de décrire ce tableau que tu m’offres chaque jour, chaque heure. Il y a mieux à faire. Si je savais peindre, ce serait bien plus intéressant que d’écouter tes bouts de phrases capturés entre deux bruits de la rue. Je pourrais y mettre de la lumière, ajouter du contraste, inventer des couleurs, poser une touche impressionniste. Car avec mes pauvres mots, j’ai du mal à accrocher la réalité à mon regard. C’est comme s’il y avait d’incessants parasites entre ce que je vois, ce que j’entends et ce qui peut s’écrire.
Par exemple, ce matin, après avoir raccroché ton téléphone, un peu agacée par la conversation que tu venais de terminer, ton regard s’est perdu sur tes jambes. Assise sur ta caisse en bois, tu les as allongées et tu t’es mise, du bout des ongles, à chasser les poils rebelles sur tes cuisses, lentement, un à un en descendant jusqu’à tes mollets.
Ces mots ne disent rien de tes gestes à ce moment-là, de leurs mouvements lents, de leur passion étrange dans cet affairement à la fois si anodin et si beau. 
Il m’aurait fallu te peindre.

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