De l’enfance, je retiens une grand-mère et le blanc des hauts plafonds

De l’enfance, je retiens une grand-mère et le blanc des hauts plafonds. Dans cette maison, grande – on disait « de maître » car grande oui mais surtout haute – dans cette maison haute où les plafonds semblaient vouloir s’envoler, j’allais une à deux fois par semaine, mardi ou samedi soir, dormir. C’était là que vivait mon ami que ma mère disait bourgeois. Parents propriétaires viticoles, grande famille pour grande et haute maison. J’étais logé dans un chambre d’amis parmi le nombre incalculable d’autres chambres affublées de noms de couleurs. La mienne était blanche ; rideaux, dessus et descente de lit, miroir, meubles, tout était blanc. Et haut, tellement haut et moi si petit sous ses plafonds qui me laissaient trop de vide.
Dans une des pièces, était-ce encore une chambre, vivait une grand-mère. Seule. Elle ne sortait jamais. Assise dans un fauteuil à franges molles, près d’une fenêtre qui donnait sur des vignes, une mer de vignes montées sur fils de fer qui filait à perte de vue vers un gouffre dans lequel ses yeux semblaient s’être perdus pour toujours. Au-dessus d’elle, le grand plafond l’écrasait de sa blanche splendeur d’autrefois. Cette femme d’une beauté intacte était figée dans le temps et l’espace, tenue à la vie par l’assise du fauteuil et un vieux souvenir de grandeur.
  • 28.11.20

Nos yeux se collent sur la vitre

Nos yeux se collent sur la vitre,
buée sous les paupières,
et nos souffles se coupent
sur les copeaux du paysage
tant l’automne secoue les arbres.
 
Là le bruit des hommes
dans le brouillard s’ébroue,
cherche des poux à la rue,
rôde sous les lumières molles
de quelques feux perdus.
  • 22.11.20

Le jour a des impatiences

Le jour a des impatiences
dans les jambes et les mains
serrées sur le cœur.

Il faudrait faire craquer
les courbes du ciel,
revoir le pays des orages
les prendre en espérance,
retrouver la sortie
dans le petit couloir de lumières
qu’il nous offre.

Mais tout court trop vite
dans nos corps endoloris
pour dénouer la parole
qui monte à la gorge.
  • 20.11.20

Un instant indécis

Un instant indécis vient
et flotte dans la pièce,
cherche sa place, son assise
parmi nous qui sommes là
pleins de certitudes froides.

C’est de cette rencontre,
souffle invisible contre corps,
que naît l’espace d’être
collision douce et ivre
qu’aucun mot n’explique.
  • 17.11.20

On cause de La ligne sous l'oeil sur Radio Grand Ciel

Retrouvez ci-dessous le podcast de l’émission La route inconnue diffusée samedi 14/11/2020 sur Radio Grand Ciel. Je cause avec Christophe Jubien d’écriture et de lecture, bien sûr. Et en fin d’émission, Christophe lit des extraits de La ligne sous l’œil paru aux éditions Gros Textes. 
Si cette lecture vous donne envie de lire le livre, il est disponible auprès de l’éditeur en clique and cueillette postale > https://grostextes.fr/publication/la-ligne-sous-loeil

 

  • 16.11.20

De l’enfance, je retiens les longs dimanches près du feu de bois

De l’enfance, je retiens les longs dimanches près du feu de bois. La chaise de paille à la large assise et le père courbé au tisonnier. La mère loin à la couture affairée, un œil sur l’aiguille, l’autre sur le chas de nos pensées. Le silence qui fait des mailles, du salon au crépitement des flammes et nos regards perdus dans la danse hypnotique du feu. Couleurs de la langueur. Du bleu long au jaune court, du rouge à nos joues au tas de braises naissant. Nos corps près de la cheminée à chercher la chaleur qui nous manque. Les va-et-vient du patriarche pour alimenter le foyer de bûches toujours plus grosses pour que jamais ne se tarisse cette joie contenue, pour que jamais n’adviennent nos cendres froides tant redoutées.
  • 15.11.20

De l’enfance, je retiens goûts et odeurs comme des pièges à nostalgie

De l’enfance, je retiens goûts et odeurs comme des pièges à nostalgie. Quand passent sur le grand tableau noir des relents de craie blanche, dans le cœur le paysage de l’écolier défile. De la blouse grise de la maîtresse jusqu’aux yeux bleus de la voisine de table. Des règles à apprendre aux bêtises à se déprendre, le nez dans le coin de la classe. De l’absence de soi quand les chiffres et les mots nous jettent au visage leur arrogance jusqu’aux petites hontes dans l’escarcelle de l’amour propre.
C’est comme mordre dans un quartier d’orange et que toute une rue s’ouvre, dans un souvenir dégoulinant de saveurs oubliées. Le chemin remonte en bouche jusqu’aux narines, la mémoire engourdie dans nos bottes se remet à danser et dans nos mains, la fraîcheur du fruit promet des jours sans neige.
Autant d’appels de l’ordinaire qui effacent de grands pans de solitude, de fièvre et de turpitudes. Pièges à nostalgie, clichés de vie qu’on aime à ressasser.
  • 11.11.20

De l’enfance je retiens ce temps que l’on tentait d’oublier

De l’enfance, je retiens ce temps que l’on tentait d’oublier. Le temps d’avant, la guerre lointaine mais si présente dans les yeux des parents. Leurs rutabagas et topinambours dans les assiettes lorsque l’enfant ne voulait pas manger sa viande. Le pain perdu, ce trésor des années troubles. Je n’avais rien vécu pour tenir tête à la lumière. Mon horizon était dégagé, petit nanti aux mille ciels promis. Aucune plainte n’avait de valeur quand on avait vu des morts dans les ornières. Il fallait mâcher le silence, déglutir les ombres et se taire.
  • 7.11.20

Il est gai, le tramway

Il est gai, le tramway
qui glisse sur les feuilles
mortes,
avec son drelin au pas-
sage d’un copain croiseur.

Il est gai, le masqué
qui en sort le pied posé
sur la feuille
morte,
avec son air de bra-
queur en rage
  • 2.11.20