Une histoire cocasse

28.12.09

[ Du rêve à la réalité ] Tous semblent m’avoir oublié. Je me sens étranger à toute cette agitation. Mon cauchemar s’insinue encore entre mes neurones engourdis. Mon mètre quarante ne me permet pas de suivre les conversations. Je ne perçois qu’un brouhaha qui me survole, entrecoupé de léchages de babines avides et d'évanescentes déglutitions de vin. Je m’ennuie et l’assemblée s’en moque.

Bastien nous rejoint brandissant son cadeau comme un trophée. Sa joie tranche avec la mélancolie qui m’étreint. Petit diable bondissant, il se faufile entre les jambes des convives et déverse son allégresse à grands renforts de cris stridents. Ma sœur l’accueille dans ses bras pour partager son bonheur de recevoir. Le cadeau déjà déballé s’étale sous ses yeux faussement éberlués. Quel emportement pour un vulgaire teddy-bear ! Cette mise en scène théâtrale m’interpelle. Elle en fait trop et ça se voit.

Quelques baisers parcimonieux plus tard, Bastien retombe des bras de ma sœur. Il déambule encore un instant agitant sa bête poilue à la taille des adultes hautains. Chacun lui décroche un sourire contraint. Ne semblant pas percevoir le simulacre, il finit par s’asseoir à mes côtés sur le grand canapé. La peluche ventrue – superbe offrande d’un mini-barbu invisible – est désormais pressée sur son petit corps.

Alangui sur la tête de l’ours, Bastien recherche la lueur de Noël dans mon regard éteint. Je le sens prés de moi, interrogatif sur cette apathie incongrue. Pour lui et seulement pour lui, je me redresse et remonte à l’étage pour découvrir dans le paquet jaune le cadeau du mini-barbu. Dans l’escalier, l’angoisse de mes chimères nocturnes me rattrape. Les questions qui me taraudent depuis la veille au soir repassent dans ma tête. Qui est cet homme, ce mini-être censé surgir du sol et qu’on ne voit jamais ? Pourquoi personne ne prête attention à ce personnage fantasmagorique ? Pourquoi ai-je la sensation d’être comme lui, un personnage invisible pris au piège d’une terre inconnue ?

Arrivé sur le palier, je suis à nouveau seul dans ce grand couloir jonché de noir et de blanc. Une crainte inexplicable s’empare de moi. Mes yeux se brouillent. Le sapin lumineux devient flou. Ma tête tourne. Des sueurs froides viennent cristalliser mes jambes tandis que mes tempes gorgées de sang tambourinent d’effroi. J’avance péniblement pour me saisir de mon cadeau emprisonné dans son papier enrubanné d’or. Le noir, le blanc, le noir. Plus rien. Plus aucun cadeau au pied de l’arbre.

Le nez au sol, je viens de m’écrouler. Mon visage sur les carreaux froids, mes yeux sur les rainures qui les séparent, un trou béant ouvre le passage du mini-barbu. Tout au fond, un petit être nu relié à un cordon de chair. Des yeux globuleux, une peau fine et translucide, son corps frêle baigne dans une solution aqueuse agitée. Il se débat, tourne et retourne sur lui-même comme pour s’extraire de sa bulle carcérale. Je n’entends aucun bruit mais sa bouche entrouverte semble crier le désespoir. C’est certain, ce sont bien des hurlements à la vie, sourds, inaudibles, vains.

Je me retourne brusquement. Allongé sur le dos, je respire profondément et m’extirpe de cette torpeur. Mon malaise n’aura duré que quelques secondes. En bas, dans le salon, les rires fusent. J’entends ma mère déclamer une histoire. Une anecdote pour elle. Un évènement pour moi. Ces mots résonnent en moi comme une explication à mes nébuleuses. Je n’étais pas encore là. J’étais en elle, prisonnier de sa terre nourricière et, lorsqu’elle montait sur la table de la cuisine, j’étais encore en paix dans son cocon protecteur comme un cadeau pas encore déballé. Ce n’est que lorsqu’elle sautait à pieds joints de la table pour choquer le sol que la tempête faisait rage. L’assemblée redouble d’hilarité. Maman voulait écourter une grossesse non-désirée. L'histoire est cocasse. Une gestation qui finit par me mettre au monde. J’aurais pu comme le mini-barbu ne jamais percer la terre, ne jamais voir le jour et rester ainsi un personnage invisible dont tout le monde parle sans jamais l’avoir vu. Un trou béant au pied d’un sapin.

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